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J’ai interrompu mon récit, cher enfant ; ma main s’est arrêtée, inondée des pleurs qui coulaient de mes yeux ; puis je suis tombé dans l’un de ces accès de morne tristesse que je ne peux vaincre… lorsque je me rappelle les terribles événements domestiques qui se sont passés après notre victoire sur le Rhin ; mais j’ai repris courage en songeant au devoir que je dois accomplir afin d’obéir aux derniers vœux de notre aïeul Joel, qui vivait il y a près de trois siècles dans ces mêmes lieux où nous sommes aujourd’hui revenus, après les vicissitudes sans nombre de notre famille.

Lorsque tu auras lu ces pages, mon enfant, tu comprendras la cause des accès de tristesse mortelle où tu me vois souvent plongé, malgré ta tendresse et celle de ta seconde mère, que je ne saurais jamais trop chérir… Oui, lorsque tu auras lu les dernières et solennelles paroles de Victoria, la mère des camps, paroles effrayantes… tu comprendras que, si douloureux que soit pour moi le passé, en ce qui touche ma famille, ce n’est pas seulement le passé qui m’attriste jusqu’à la mort, mais les prévisions de l’avenir réservé peut-être à la Gaule par la mystérieuse volonté de Hésus… Ô mon enfant ! ces appréhensions pleines d’angoisses, tu les partageras en lisant cette réflexion sage et profonde de notre aïeul Sylvest :

Hélas ! à chaque blessure de la patrie, la famille saigne…

Oui, car si elles se réalisent jamais, les redoutables prophéties de Victoria, douée peut-être, comme tant d’autres de nos druidesses vénérées, de la science de l’avenir… si elles se réalisent, ces redoutables prophéties, malheur à la Gaule ! Malheur à notre race ! malheur à notre famille ! elle aura plus longtemps et plus cruellement à souffrir de l’oppression de la Rome des évêques, qu’elle n’a souffert de l’oppression de la Rome des Césars et des empereurs !

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Je reprends donc ce récit, mon enfant, au point où je l’ai laissé, il y a plusieurs années. Sans doute, je l’interromprai plus d’une fois encore…