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sa poitrine, elle m’a d’abord contemplée en silence d’un air farouche : son pâle visage s’est empourpré de honte ou de rage ; puis, me regardant d’un œil sombre, elle a prononcé mon nom ; j’ai cru qu’elle me demandait si j’étais Victoria, je lui fis un signe de tête affirmatif en lui disant : « Oui, je suis Victoria. » À peine avais-je prononcé ces mots, qu’Elwig s’est jetée à mes pieds ; son front touchait presque le plancher, comme si elle eût humblement imploré ma protection… Sans doute cette femme a profité de ce moment pour tirer son couteau de dessous sa robe sans être vue de moi, car je me baissais pour la relever, lorsqu’elle s’est redressée, les yeux étincelants de férocité, en me portant un coup de couteau, et répétant avec un accent de haine : Victoria ! Victoria !

À ces paroles de sa mère, quoique le danger fût passé, Victorin tressaillit, se rapprocha de ma sœur de lait, et prît entre ses deux mains sa main blessée qu’il baisa avec un redoublement de pieuse tendresse.

– Voyant le couteau d’Elwig levé sur moi, — ajouta Victoria, — mon premier mouvement fut de parer le coup et de tâcher de saisir la lame en m’écriant : « À moi, Robert ! » Celui-ci, au bruit de la lutte, accourut de la pièce voisine ; il me vit aux prises avec Elwig… Mon sang coulait… Robert me crut dangereusement blessée ; il tira son épée, saisit cette Elwig à la gorge, et la tua avant que j’aie pu m’opposer à cette inutile vengeance… Je regrette la mort de cette Franque, venue volontairement près de moi.

– Vous la plaignez, ma mère, — dit vivement Victorin, — cette créature pillarde et féroce, comme ceux de sa race ! Vous la plaignez ! et elle n’a sans doute suivi Scanvoch qu’afin de trouver l’occasion de s’introduire près de vous pour vous voler et vous égorger ensuite !

– Je la plains d’être née d’une telle race, — reprit tristement Victoria ; — je la plains d’avoir eu la pensée d’un meurtre !

– Croyez-moi, — ai-je dit à ma sœur de lait, — la mort de cette femme met un terme à une vie souillée de forfaits dont frémit la na-