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» – Ce soir nous disons :

» – Réponds, terre rougie du sang de l’étranger !… Répondez, flots profonds du Rhin !… Répondez, corbeaux de la grève… Répondez !… répondez !…

» – Combien étaient-ils, ces voleurs de terre, de femmes et de soleil ?

» – Oui, combien étaient-ils donc ces Franks ? »




Victorin, dans sa hâte d’aller instruire sa mère du gain de la bataille, remit le commandement des troupes à l’un des plus anciens capitaines ; nous laissâmes nos montures harassées à des cavaliers qui, d’habitude, conduisaient en main des chevaux frais pour le jeune général ; lui et moi, nous nous sommes rapidement dirigés vers Mayence. La nuit était sereine, la lune resplendissait parmi des milliers d’étoiles, ces mondes inconnus où nous allons revivre en quittant ce monde-ci. Chose étrange ! tout en songeant avec un bonheur ineffable au triomphe de notre armée, qui assurait la paix et la prospérité de la Gaule ; tout en songeant à mon prochain retour auprès de ta mère et de toi, mon enfant, après cette rude journée de bataille, j’ai soudain éprouvé un accès de mélancolie profonde…

J’avais, dans l’élan de ma reconnaissance, levé les yeux vers le ciel pour remercier les dieux de notre succès… La lune brillait d’un radieux éclat… Je ne sais pourquoi, à ce moment, je me suis rappelé avec une sorte de pieuse tristesse, en pensant à nos aïeux, tous les faits glorieux, touchants ou terribles accomplis par eux, et que l’astre sacré de la Gaule avait aussi éclairés de son éternelle lumière depuis tant de générations !… Le sacrifice d’Hêna, le voyage d’Albinik le marin et de sa femme Méroë vers le camp de César, à travers ces pays héroïquement incendiés par nos pères durant leur guerre contre les Romains… la marche nocturne de Sylvest l’esclave se rendant aux réunions secrètes des Enfants du Gui et au palais de Faustine… sa fuite du cirque d’Orange, où il avait failli être livré aux bêtes fé-