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J’avais promis à Victoria de ne pas quitter son fils ; mais au commencement de l’action, il s’élança si impétueusement sur l’ennemi à la tête d’une légion de cavalerie, que le flux et le reflux de la mêlée me séparèrent d’abord de lui. Nous combattions alors une troupe d’élite bien montée, bien armée ; les soldats ne portaient ni casque, ni cuirasse, mais leur double casaque de peaux de bêtes, recouverte de longs poils, et leurs bonnets de fourrure, intérieurement garnis de bandes de fer, valaient nos armures : ces Franks se battaient avec furie, souvent avec une férocité stupide… J’en ai vu se faire tuer comme des brutes, pendant qu’au fort de la mêlée ils s’acharnaient à trancher, à coups de hache, la tête d’un cadavre gaulois, afin de se faire un trophée de cette dépouille sanglante… Je me défendais contre deux de ces cavaliers, j’avais fort à faire ; un autre de ces barbares, démonté et désarmé, s’était cramponné à ma jambe afin de me désarçonner ; n’y pouvant parvenir, il me mordit avec tant de rage, que ses dents traversèrent le cuir de ma bottine, et ne s’arrêtèrent qu’à l’os de ma jambe. Tout en ripostant à mes deux adversaires, je trouvai le loisir d’asséner un coup de masse d’armes sur le crâne de ce Frank. Après m’être débarrassé de lui, je faisais de vains efforts pour rejoindre Victorin, lorsque, à quelques pas de moi, j’aperçois dans la mêlée, qu’il dominait de sa taille gigantesque, Néroweg, l’Aigle terrible… À sa vue, au souvenir des outrages dont je m’étais à peine vengé la veille, en lui jetant une bûche à la tête, mon sang, qu’animait déjà l’ardeur de la bataille, bouillonna plus vivement encore… En dehors même de la colère que devait m’inspirer Néroweg pour ses lâches insultes, je ressentais contre lui je ne sais quelle haine profonde, mystérieuse, comme s’il eût personnifié cette race pillarde et féroce, qui voulait nous asservir… Il me semblait (chose étrange, inexplicable), que j’abhorrais Néroweg autant pour l’avenir que pour le présent… comme si cette haine devait non-seulement se perpétuer entre nos deux races franque et gauloise, mais entre nos deux familles… Que te dirai-je, mon enfant ! j’oubliai même la promesse