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deux escarpements ; celui de droite, coupé presque à pic, et surplombant la route, formait une sorte de promontoire du côté du Rhin ; l’escarpement de gauche, composé de plusieurs rampes rocheuses, servait pour ainsi dire de base aux immenses plateaux au milieu desquels avait été creusée cette route profonde, qui s’abaissait de plus en plus pour déboucher dans une vaste plaine, bornée à l’est et au nord par la courbe du fleuve, à l’ouest par des bois et des marais, et derrière nous par les plateaux élevés, où nos troupes faisaient halte. Bientôt nous avons distingué à une grande distance d’innombrables masses noires et confuses, c’était l’armée franque…

Victorin resta pendant quelques instants silencieux et pensif, observant attentivement la disposition des troupes de l’ennemi et le terrain qui s’étendait à nos pieds.

– Mes prévisions et mes calculs ne m’avaient pas trompé, — me dit-il. — L’armée des Franks est deux fois supérieure à la nôtre ; s’ils connaissaient une tactique moins sauvage, au lieu de s’engager dans ce défilé, ainsi qu’ils vont le faire, si j’en juge d’après leur marche, ils tenteraient, malgré la difficulté de cette sorte d’assaut, de gravir ces plateaux en plusieurs endroits à la fois, me forçant ainsi à diviser sur une foule de points mes forces si inférieures aux leurs… alors notre succès eût été douteux. Cependant, par prudence, et pour engager l’ennemi dans le défilé, j’userai d’une ruse de guerre… Retournons à l’avant-garde, Scanvoch, l’heure du combat a sonné !…

– Et cette heure, — lui dis-je, — est toujours solennelle…

– Oui, — me dit-il d’un ton mélancolique, — cette heure est toujours solennelle, surtout pour le général, qui joue à ce jeu sanglant des batailles, la vie de ses soldats et les destinées de son pays. Allons, viens, Scanvoch… et que l’étoile de ma mère me protège !…

Je retournai vers nos troupes avec Victorin, me demandant par quelle contradiction étrange ce jeune homme, toujours si ferme, si réfléchi, lors des grandes circonstances de sa vie, se montrait d’une inconcevable faiblesse dans sa lutte contre ses passions.