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ciers, porteurs des ordres du jeune général pour divers corps de l’armée, partirent au galop dans des directions différentes. Alors je m’approchai de ma sœur de lait, et je lui dis à mi-voix :

– Tu reprochais à ton fils de n’avoir plus cette froide bravoure qui doit distinguer le chef d’armée ; vois, cependant, comme il est calme, pensif… Ne lis-tu pas sur son mâle visage la sage et prudente préoccupation du général qui ne veut pas aventurer follement la vie de ses soldats, la fortune de son pays ?

– Tu dis vrai, Scanvoch ; il était ainsi calme et pensif au moment de la grande bataille d’Offembach… une de ses plus belles… une de ses plus utiles victoires ! puisqu’elle nous a rendu notre frontière du Rhin en refoulant ces Franks maudits de l’autre côté du fleuve !…

– Et cette journée complétera la victoire de ton fils, si, comme je l’espère, nous chassons pour toujours ces barbares de nos frontières !

– Mon frère, — me dit ma sœur de lait, — selon ton habitude, tu ne quitteras pas Victorin ?

– Je te le promets…

– Il est calme à cette heure ; mais, l’action engagée, je redoute l’ardeur de son sang, l’entraînement de la bataille… Tu le sais, Scanvoch, je ne crains pas le péril pour Victorin ; je suis fille, femme et mère de soldat… mais je crains que par trop de fougue, et voulant, par seule outre-vaillance, payer de sa personne, il ne compromette par sa mort le succès de cette journée, qui peut décider du repos de la Gaule !…

– J’userai de tout mon pouvoir pour convaincre Victorin qu’un général doit se ménager pour son armée, dont il est la tête et la pensée…

— Scanvoch, — me dit ma sœur de lait d’une voix émue, — tu es toujours le meilleur des frères !

Puis, me montrant encore son fils du regard, et ne voulant pas, sans doute, laisser pénétrer à d’autres qu’à moi la lutte de ses anxiétés maternelles contre la fermeté de son caractère, elle ajouta tout bas :