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– Tu auras eu beau fuir, cette damnée luxure a les jambes aussi longues que les bras et les dents ! — dit le capitaine ; — elle t’aura rattrapé, Victorin !

– Daignez m’écouter, ma mère, — reprit Victorin voyant ma sœur de lait faire un geste de dégoût et d’impatience. — Je n’étais plus qu’à deux cents pas du logis… la nuit était noire, une femme enveloppée d’une mante à capuchon m’aborde…

– Et de trois ! — s’écria le bon capitaine en joignant les mains. — Voici les deux bohémiennes renforcées d’une femme à coqueluchon… Ah ! malheureux Victorin ! l’on ne sait pas les pièges diaboliques cachés sous ces coqueluchons… mon ami Eustache serait encoqueluchonné… que je le fuirais !…

« – Mon père est un vieux soldat, me dit cette femme, — reprit Victorin ; — une de ses blessures s’est rouverte, il se meurt. Il vous a vu naître, Victorin… il ne veut pas mourir sans presser une dernière fois la main de son jeune général ; refuserez-vous cette grâce à mon père expirant ? » — Voilà ce que m’a dit cette inconnue d’une voix touchante. Qu’aurais-tu fait, toi, Marion ?

– Malgré mon épouvante des coqueluchons, je serais, ma foi, allé voir ce vieux homme, — répondit le capitaine ; — certes j’y serais allé, puisque ma présence pouvait lui rendre la mort plus agréable…

– Je fais donc ce que tu aurais fait, Marion, je suis l’inconnue ; nous arrivons à une maison obscure, la porte s’ouvre, ma conductrice me prend la main, je marche quelques pas dans les ténèbres ; soudain une vive lumière m’éblouit, je me vois entouré par les trois capitaines des légions de Béziers, et par d’autres officiers ; la femme voilée laisse tomber sa mante, et je reconnais…

– Une de ces damnées bohèmes ! — s’écria le capitaine. — Ah ! je te disais bien, Victorin, que les coqueluchons cachaient d’horribles choses !

– Horribles ?… Hélas ! non, Marion ; et je n’ai pas eu le courage de fermer les yeux… Aussitôt je suis cerné de tous côtés ; l’autre