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mère des camps ; — c’est aussi un noble cœur, car, malgré son élévation, il a continué d’aimer comme un frère un de ses anciens compagnons de forge, resté simple soldat.

– Et moi, dis-je à Victoria, dussé-je encore passer pour une tête de fer… je crois que dans cette affection, le bon cœur et le bon sens du capitaine Marion se trompent. Selon moi, il aime un ennemi… Puissiez-vous, Victoria, n’être pas aussi aveugle que le capitaine Marion !

– Le fidèle compagnon du capitaine Marion serait son ennemi ? — reprit Victoria. — Tu es dans un jour de méfiance, mon frère…

– Un envieux est toujours un ennemi. L’homme dont je parle est resté soldat ; il porte envie à son ancien camarade, devenu l’un des premiers capitaines de l’armée… De l’envie à la haine, il n’y a qu’un pas.

En disant ceci, j’avais encore, mais en vain, tâché de rencontrer le regard du gouverneur de Gascogne ; mais je remarquai chez lui, non sans surprise, une sorte de tressaillement de joie lorsque j’affirmai que le capitaine Marion avait pour ennemi secret son camarade de guerre. Tétrik, toujours maître de lui, craignant sans doute que son tressaillement ne m’eût pas échappé, reprit :

– L’envie est un sentiment si révoltant, que je ne puis en entendre parler sans émotion. Je suis vraiment chagrin de ce que Scanvoch, qui, je l’espère, se trompe cette fois encore, nous apprend sur le camarade du capitaine Marion… Mais si ma présence vous empêche de recevoir le capitaine, dites-le-moi, Victoria… je me retire.

– Je désire au contraire que vous assistiez à l’entretien que je dois avoir avec Marion et mon frère Scanvoch ; tous deux ont été chargés par mon fils d’importants messages… et pourtant, — ajouta-t-elle avec un soupir, — la matinée s’avance, et mon fils n’est pas ici…

À ce moment la porte de la chambre s’ouvrit, et Victorin parut, accompagné du capitaine Marion.

Victorin était alors âgé de vingt-deux ans. Je t’ai dit, mon enfant,