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qu’il soit pour moi, peut, à la rigueur, se comprendre ; car, enfin, si par la force des armes nous sommes parvenus à reconquérir pas à pas, depuis près de trois siècles, presque toutes les libertés de la vieille Gaule, les empereurs romains ont vu avec douleur notre pays échapper à leur domination ; je comprendrais donc, bon Scanvoch, que vous m’accusiez de vouloir arriver au gouvernement de la Gaule, afin de la rendre tôt ou tard aux Romains, en la trahissant, il est vrai, d’une manière infâme… Mais croire que j’agis dans l’intérêt du pape des chrétiens, de ces malheureux partout persécutés, martyrisés… n’est-ce pas insensé ?… Que pourrais-je faire pour eux ? Que pourraient-ils faire pour moi ?…

Scanvoch allait répondre ; Victoria l’interrompit d’un geste, et dit à Tétrik, en lui montrant la croix de bois noir, symbole de la mort de Jésus, placée à côté de la coupe d’airain, où trempaient sept brins de gui, symbole druidique :

– Voyez cette croix, Tétrik, elle vous dit que, fidèle à nos dieux, je vénère cependant celui qui a dit :

« Que nul homme n’avait le droit d’opprimer son semblable…

 » Que les coupables méritaient pitié, consolation, et non le mépris et la rigueur…

 » Que les fers des esclaves devaient être brisés… »

Glorifiées soient donc ces maximes ; les plus sages de nos druides les ont acceptées comme saintes ; c’est vous dire combien j’aime la tendre et pure morale de ce jeune maître de Nazareth… Mais, voyez-vous, Tétrik, — ajouta Victoria d’un air pensif, — il y a une chose étrange, mystérieuse, qui m’épouvante… Oui, bien des fois, durant mes longues veilles auprès du berceau de mon petit-fils, songeant au présent et au passé… j’ai été tourmentée d’une vague terreur pour l’avenir.

– Et cette terreur, — demanda Tétrik, — d’où vient-elle ?

– Quelle a été depuis trois siècles l’implacable ennemie de la