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avant ; mais, ô prodige ! à peine j’eus touché le frein des chevaux, qu’ils s’arrêtèrent subitement sur leurs jarrets, comme si mon geste eût suffi pour mettre un terme à leur course impétueuse… Heureux d’échapper à une mort presque certaine, mais ne me croyant pas magicien et capable de refréner, d’un seul geste, des chevaux emportés, je me demandais, en reculant de quelques pas, la cause de cet arrêt extraordinaire, lorsque bientôt je remarquai que les chevaux, quoique forcés de rester en place, faisaient de violents efforts pour avancer, tantôt se cabrant, tantôt s’élançant en avant et roidissant leurs traits, comme si le chariot eût été tout à coup enrayé ou retenu par une force insurmontable.

Ne pouvant résister à ma curiosité, je me rapprochai, puis, me glissant entre les chevaux et le mur de retranchement, je parvins à monter sur l’avant-train du char, dont le cocher, plus mort que vif, tremblait de tous ses membres ; de l’avant-train je courus à l’arrière, et je vis, non sans stupeur, un homme de la plus grande taille et d’une carrure d’Hercule, cramponné à deux espèces d’ornements recourbés qui terminaient le dossier de cette voiture, qu’il venait ainsi d’arrêter dans sa course, grâce à une force surhumaine.

– Le capitaine Marion ! — m’écriai-je, — j’aurais dû m’en douter, lui seul, dans l’armée gauloise, est capable d’arrêter un char dans sa course rapide (A).

– Dis donc à ce cocher du diable de raccourcir ses guides et de contenir ses chevaux… mes poignets commencent à se lasser, — me dit le capitaine.

Je transmettais cet ordre au cocher, qui commençait à reprendre ses esprits, lorsque je vis plusieurs soldats, de garde chez Victoria, sortir de la maison, et, accourant au bruit, ouvrir la porte de la cour, et donner ainsi libre entrée au char.

– Il n’y a plus de danger, — dis-je au cocher, — conduis maintenant tes chevaux doucement jusqu’au logis… Mais à qui appartient cette voiture ?