Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 3.djvu/135

Cette page a été validée par deux contributeurs.

– Peut-on crier du rivage vers le large, — demandai-je au Frank, — sans être entendu des avant-postes de ton camp ?

– Le vent souffle de la rive vers le Rhin, — me dit Riowag avec sa sagacité de sauvage, — tu peux crier ; l’on ne t’entendra pas du camp et l’on t’entendra jusque vers le milieu du fleuve.

Après avoir encore marché pendant quelque temps, Riowag s’arrêta et me dit :

– C’est ici que tu as débarqué… ton bateau devrait être ancré non loin d’ici… Moi, guerrier de nuit, j’ai l’habitude de voir à travers les ténèbres, et ce bateau, je ne le vois pas…

– Oh ! tu nous as trompés ! tu nous as trompés ! — murmura Elwig d’une voix sourde, — tu mourras…

– Peut-être, — leur dis-je, — la barque, après m’avoir vainement attendu, n’a quitté son ancrage que depuis peu de temps… Le vent porte au loin la voix, je vais appeler.

Et je poussai notre cri de ralliement de guerre, bien connu de Douarnek.

Le bruit du vent et des grandes eaux me répondit seul.

Douarnek avait sans doute suivi mes ordres et regagné notre camp au coucher du soleil.

Je poussai une seconde fois notre cri de guerre.

Le bruit du vent et des grandes eaux me répondit encore.

Voulant gagner du temps et me mettre en défense, je dis à Elwig :

– Le vent souffle de la rive ; il porte ma voix au large ; mais il repousse les voix qui ont peut-être répondu à mon signal… Attendons…

En parlant ainsi, je tâchais de voir à travers les ténèbres de quelle manière Riowag était armé. Il portait à sa ceinture un poignard, et tenait sa courte et large épée, qu’il venait de tirer du fourreau ; Elwig avait son couteau à la main… Quoiqu’ils fussent côte à côte et près de moi, je pouvais d’un bond leur échapper… j’attendis encore.