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— Mais, en sautant dans la rue, — dit Aurélie avec effroi, — tu te briseras, pauvre Geneviève.

À ce moment arrivait le seigneur Grémion, pâle, courroucé, tenant une lampe à la main.

— Que faites-vous là ? — s’écria-t-il en s’adressant à sa femme, — répondez ! répondez !

Puis, apercevant l’esclave agenouillée au dessus de la porte, il ajouta :

— Ah ! scélérate ! tu veux t’échapper, et c’est ma femme qui favorise ta fuite !

— Oui, — répondit courageusement Aurélie, — oui ; dussiez-vous me tuer sur la place, elle va échapper à vos mauvais traitements.

Geneviève après avoir, du haut de l’ouverture où elle était blottie, regardé dans la rue, vit qu’il lui fallait sauter deux fois sa hauteur ; elle hésita un moment ; mais entendant le seigneur Grémion dire à sa femme qu’il secouait brutalement par le bras pour lui faire abandonner les anneaux de la porte auxquels elle se cramponnait :

— Par Hercule ! me laisserez-vous passer ? Oh ! je vais aller dehors attendre votre misérable esclave, et si elle ne se brise pas les membres en sautant dans la rue, moi je lui briserai les os !

— Tâche de descendre et de te sauver, Geneviève, — cria Aurélie ; — ne crains rien !… il faudra que l’on me foule aux pieds avant d’ouvrir cette porte !

Geneviève leva les yeux au ciel pour invoquer les dieux, s’élança du rebord du cintre en se pelotonnant, et fut assez heureuse pour toucher terre sans se blesser. Cependant, elle resta un instant étourdie de sa chute, puis elle prit rapidement la fuite, le cœur navré des cris qu’elle entendait pousser au dedans du logis par sa maîtresse, que son mari maltraitait.

L’esclave, après avoir d’abord précipité sa course pour s’éloigner de la maison de son maître, s’arrêta essoufflée, pour se rappeler dans quelle direction était placée la taverne de l’Onagre, où elle espérait