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dige, ma liberté d’esprit était entière ; la vieille raillerie gauloise, naturelle à notre race, mais longtemps engourdie chez nous par la honte et les douleurs de l’esclavage, m’était, ainsi qu’à d’autres, revenu pour ainsi dire avec notre liberté… Ainsi les réflexions que tu verras parfois se produire au moment où la mort me menaçait étaient sincères, et par suite de ma disposition d’esprit et de ma foi dans cette croyance de nos pères, que l’homme ne meurt jamais… et qu’en quittant ce monde-ci va revivre ailleurs…)

Porté sur les épaules des quatre guerriers noirs, je traversai donc une partie du camp des Franks ; ce camp immense, mais établi sans aucun ordre, se composait de tentes pour les chefs et de tentes pour les soldats ; c’était une sorte de ville sauvage et gigantesque : çà et là, on voyait leurs innombrables chariots de guerre, abrités derrière des retranchements construits en terre et renforcés de troncs d’arbres ; selon l’usage de ces barbares, leurs infatigables petits chevaux maigres, au poil rude, hérissé, ayant un licou de corde pour bride, étaient attachés aux roues des chariots ou arbres dont ils rongeaient l’écorce… Les Franks, à peine vêtus de quelques peaux de bêtes, la barbe et les cheveux graissés de suif, offraient un aspect repoussant, stupide et féroce : les uns s’étendaient aux chauds rayons de ce soleil qu’ils venaient chercher du fond de leurs sombres et froides forêts ; d’autres trouvaient un passe-temps à chercher la vermine sur leur corps velu, car ces barbares croupissaient dans une telle fange, que, bien qu’ils fussent campés en plein air, leur rassemblement exhalait une odeur infecte.

À l’aspect de ces hordes indisciplinées, mal armées, mais innombrables, et se recrutant incessamment de nouvelles peuplades, émigrant en masse des pays glacés du Nord pour venir fondre sur notre fertile et riante Gaule, comme sur une proie, je songeais, malgré moi, à quelques mots de sinistre prédiction échappés à Victoria ; mais bientôt je prenais en grand mépris ces barbares qui, trois ou quatre fois supérieurs en nombre à notre armée, n’avaient jamais pu, depuis