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sait que beaucoup de marchands ont, pour éprouver la force de leurs esclaves, des poids demi-creux qui semblent peser deux et trois fois plus qu’ils ne pèsent réellement ; allons, ami Taureau, montre à ce défiant que tu es aussi vigoureux que solidement bâti.

Mes forces n’étaient pas encore entièrement revenues ; cependant je pris ce lourd poids entre mes deux mains, et je l’élevai au-dessus de ma tête, où je le balançai un moment ; j’eus alors la vague pensée de le laisser retomber sur le crâne de mon maître, et de l’écraser ainsi à mes pieds… Mais ce ressouvenir de mon courage passé s’éteignit bien vite dans ma timidité présente, et je rejetai le poids sur le sol.

Le Romain boiteux parut satisfait.

— De mieux en mieux, ami Taureau, — me dit le maquignon ; — par Hercule, ton patron, jamais esclave n’a fait plus d’honneur à son propriétaire. Ta force est démontrée ; maintenant, voyons ton agilité. Deux gardiens vont tenir cette barre de bois à la hauteur d’une coudée ; tu vas, quoique tes pieds soient enchaînés, sauter par-dessus cette barre à plusieurs reprises (I) ; rien ne prouve mieux la vigueur et l’élasticité des membres.

Malgré mes récentes cicatrices et la pesanteur de ma chaîne, je sautai plusieurs fois à pieds joints par-dessus la barre, au nouveau contentement du centurion.

— De mieux en mieux, — reprit le maquignon ; — tu es reconnu aussi fortement construit et aussi agile que vigoureux ; reste à montrer l’inoffensive douceur de ton caractère… Quant à cette dernière épreuve… je suis certain d’avance de son succès…

Et de nouveau il m’attacha les mains derrière le dos.

Je ne compris pas d’abord ce que voulait dire le marchand, car il prit un fouet de la main d’un gardien, puis, me désignant du bout de ce fouet, il parla tout bas à l’acheteur : celui-ci fit un signe d’assentiment ; déjà le maquignon s’avançait vers moi, lorsque le boiteux prit lui-même le fouet.

— Le vieux renard toujours défiant, craint que je ne te fouaille