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cheveux gris, d’une figure froide et dure ; il portait l’habit militaire, boitait très-bas et s’appuyait sur la canne en cep de vigne qui distingue le rang des centurions dans l’armée romaine ; le maquignon ayant enlevé de dessus mes épaules la couverture de laine dont j’étais enveloppé, je suis resté nu jusqu’à la ceinture… puis j’ai été obligé de quitter mes braies : mon maître, en homme fier de sa marchandise, exposait ainsi ma nudité aux yeux de l’acheteur.

Plusieurs curieux rassemblés au dehors me regardaient ; j’ai baissé les yeux, ressentant de la honte, de l’affliction… non de la colère.

Après avoir lu l’écriteau qui pendait à mon cou, l’acheteur m’examina longuement, tout en répondant, par plusieurs signes de tête approbatifs, à ce que le marchand lui disait en langue romaine, avec sa volubilité habituelle ; souvent il l’interrompait pour mesurer, au moyen de ses doigts qu’il écartait, tantôt la largeur de ma poitrine, tantôt la grosseur de mes bras, de mes cuisses ou la carrure de mes épaules.

Ce premier examen parut satisfaire le centurion, car le maquignon me dit :

— Sois fier pour ton maître, ami Taureau, ta structure est trouvée sans défaut… « Voyez, — ai-je dit à l’acheteur, — voyez si les statuaires grecs ne feraient pas de ce superbe esclave le modèle d’une statue d’Hercule ? » Mon client est de mon avis ; il faut maintenant lui montrer que ta vigueur et ton agilité sont dignes de ton apparence.

Mon maître, me montrant alors un poids de plomb placé là pour cette épreuve, me dit en me déliant les bras :

— Tu vas remettre tes braies, puis prendre ce poids entre tes deux mains, le lever au-dessus de ta tête, et le tenir ainsi suspendu le plus longtemps que tu le pourras.

J’allais exécuter cet ordre avec ma stupide docilité, lorsque le centurion se baissa vers le poids de plomb, et essaya de l’enlever de terre, ce qu’il fit à grand’peine, pendant que le maquignon me disait :

— Ce malin boiteux est un vieux renard aussi fin que moi ; il