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— Ami Taureau, tu es la perle, l’escarboucle de mon lot : entre dans cette cage ; la comparaison que l’on ferait de toi aux autres esclaves les déprécieraient trop ; en habile marchand, je vais d’abord essayer de vendre ce que j’ai de moins vaillant… on écoule le fretin avant le gros poisson (H).

J’ai obéi, je suis rentré dans la cage, mon maître en a fermé la porte ; je pouvais me tenir debout, une ouverture pratiquée au plafond me permettait de respirer sans être vu du dehors ; bientôt une cloche a sonné, c’était le signal de la vente. De tous côtés se sont élevées les voix glapissantes des crieurs annonçant les enchères des marchands de chair humaine, qui en langue romaine vantaient leurs esclaves, en invitant les acheteurs à entrer dans les loges. Plusieurs chalands sont venus visiter le lot du maquignon ; sans comprendre les paroles qu’il leur adressait, j’ai deviné, aux inflexions de sa voix, qu’il s’efforçait de les capter pendant que le crieur annonçait les enchères offertes. De temps à autre un grand tumulte s’élevant dans la loge se mêlait aux imprécations du marchand et au bruit du fouet des gardiens ; ils frappaient sans doute quelques-uns de mes compagnons de captivité, qui refusaient de suivre le nouveau maître auquel ils venaient d’être adjugés par la criée ; mais bientôt ces clameurs cessaient, étouffées sous le bâillon. D’autres fois j’entendais les piétinements d’une lutte sourde, désespérée, quoique muette… Cette lutte se terminait aussi sous les efforts des gardiens. J’étais effrayé du courage que montraient ces captifs ; je ne comprenais plus ni la résistance ni l’audace ; j’étais plongé dans ma lâche inertie, lorsque la porte de ma cage s’est ouverte, le maquignon, tout joyeux, s’est écrié :

— Tout est vendu, sauf toi, ma perle, mon escarboucle. Et par Mercure ! à qui je promets une offrande, en reconnaissance de mon gain d’aujourd’hui, je crois avoir trouvé pour toi un acquéreur de gré à gré.

Mon maître m’a fait sortir de la cage ; j’ai traversé la loge, je n’y ai plus vu aucun esclave, je me suis trouvé en face d’un homme à