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— Parce que je t’ai préparé à ta toilette d’esclave.

— Quelle toilette ?

— Je possède, ami Taureau, certains philtres magiques pour parer ma marchandise… Ainsi, quoique tu sois maintenant assez bien en chair, la privation d’exercice et de grand air, la fièvre allumée par tes blessures, la tristesse qu’occasionne toujours la captivité, d’autres causes encore ont séché, terni ta peau, jauni ton teint ; mais, grâce à mes philtres, demain matin tu auras la peau aussi fraîche et aussi souple, le teint aussi vermeil que si tu arrivais des champs, mon brave rustique ; cette apparence ne durera guère qu’un jour ou deux ; mais je compte, par Jupiter, que demain soir tu seras vendu : libre à toi de rajeunir ou de dépérir chez ton nouveau maître… Je vais donc commencer par te mettre nu et t’oindre le corps de cette huile préparée, — dit le maquignon en débouchant un de ses flacons (B).

Ces apprêts me parurent si honteux pour ma dignité d’homme que, malgré l’engourdissement qui m’accablait de plus en plus, je me dressai sur mon séant et m’écriai en agitant mes mains et mes bras libres de toute entrave :

— Je n’ai pas de menottes aujourd’hui… Si tu approches, je t’étrangle !

— Voilà ce que j’avais prévu, ami Taureau, — dit le maquignon en versant tranquillement l’huile de son flacon dans un vase où il mit à tremper une éponge. — Tu vas vouloir résister, t’emporter… J’aurais pu te faire garrotter par les gardiens ; mais, dans ta violence, tu te serais meurtri les membres, détestable enseigne pour la vente, car ces meurtrissures annoncent toujours un esclave récalcitrant… Et tout à l’heure, quels cris n’aurais-tu pas poussés ! quelle révolte ! lorsqu’il va falloir te raser la tête en signe d’esclavage (C) !

À cette dernière et insultante menace (un des plus grands outrages que l’on puisse faire à un Gaulois n’est-il pas de le priver de sa chevelure (D) ?), j’ai rassemblé ce qui me restait de forces