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— Tu en seras loin comme deux fois la longueur de ta prison… Mais qu’as-tu à porter ainsi les mains à ton front ?

— Je ne sais pas… Il y a longtemps que je n’ai bu de vin ; la chaleur de celui que tu m’as versé me monte à la tête… Depuis quelques instants… je me sens étourdi…

— Cela prouve, ami Taureau, que mon vin est généreux, — a repris le maquignon avec un sourire étrange ; puis, se levant, il est sorti, a appelé un des gardiens, et est rentré avec un coffre sous le bras… Il a ensuite soigneusement refermé la porte et étendu un lambeau de couverture devant la fenêtre, afin que l’on ne pût voir du dehors dans mon réduit, éclairé par une lampe… Ceci fait, il m’a regardé très-attentivement, sans prononcer une parole, tout en ouvrant son coffret, dont il a tiré plusieurs flacons, des éponges, un petit vase d’argent avec un long tube recourbé, ainsi que différents instruments, dont l’un en acier me parut très-tranchant. À mesure que je contemplais le maquignon, toujours silencieux, je sentais s’augmenter en moi un engourdissement inexplicable, mes paupières alourdies se fermèrent deux ou trois fois malgré moi. Assis jusqu’alors sur ma couche de paille, où j’étais toujours enchaîné, j’ai été obligé d’appuyer ma tête au mur, tant elle devenait pesante, embarrassée. Le maquignon me dit en riant :

— Ami Taureau, il ne faut pas t’inquiéter de ce qui t’arrive.

— Quoi ? — répondis-je en tâchant de sortir de ma torpeur. — Que m’arrive-t-il ?

— Tu sens un espèce de demi-sommeil te gagner malgré toi.

— C’est vrai.

— Tu m’entends, tu me vois, mais comme si ta vue et ton oreille étaient couvertes d’un voile.

— C’est vrai, — murmurai-je, car ma voix faiblissait aussi, et, sans éprouver aucune douleur, tout en moi semblait s’éteindre peu à peu. Je fis cependant un effort pour dire à cet homme :

— Pourquoi suis-je ainsi ?