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mort que leur mère si prévoyante voulait leur donner, pouvaient être conduits en Italie pour y accomplir de monstrueuses destinées… Ce n’est pas de la colère, de la fureur que j’ai ressentie ; non… mais une douleur si grande, une épouvante si terrible, que je me suis agenouillé sur la paille, et j’ai tendu, malgré mes menottes, mes mains suppliantes vers le maquignon ; puis, ne trouvant pas une parole, j’ai pleuré… à genoux…

Le maquignon m’a regardé fort surpris, et m’a dit :

— Eh bien ! qu’est-ce, mon brave Taureau ? qu’y a-t-il ?

— Mes enfants !… — ai-je pu seulement répondre, car les sanglots étouffaient ma voix. — Mes enfants… s’ils vivent !…

— Tes enfants ?…

— Ce que tu as dit… le sort qui les attend… si on les vend à ces hommes…

— Comment… ce sort t’alarme pour eux ?

— Hésus ! Hésus !… — me suis-je écrié en invoquant Dieu et me lamentant, — c’est horrible !…

— Deviens-tu fou ? — a repris le maquignon. — Qu’y a-t-il d’horrible dans le sort qui attend tes enfants ?… Ah ! que vous êtes bien, en Gaule, de vrais barbares ! Mais, sache-le donc : il n’est pas d’existence plus douce, plus fleurie, que celle de ces petites joueuses de flûte et de ces petits danseurs (H) dont s’amusent ces vieux richards… Si tu les voyais, les petits fripons, les joues couvertes de fard, le front couronné de roses, avec leurs robes flottantes pailletées d’or et leurs riches pendants d’oreilles… et les petites filles… si tu les voyais, avec leurs tuniques et…

Je n’ai pu laisser le maquignon continuer… un nuage sanglant a passé devant mes yeux ; je me suis élancé, furieux, désespéré, vers cet infâme ; mais, cette fois encore, ma chaîne, en se tendant brusquement, m’a fait trébucher, tomber et rouler sur ma paille… J’ai regardé autour de moi… Rien, pas un bâton, pas une pierre, rien… Alors, devenant, je crois, insensé, je me suis replié sur moi-