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accoururent, se précipitèrent sur moi et me mirent aux mains des menottes de fer…

(Mon fils… ô mon fils… toi pour qui j’écris ceci, fidèle aux dernières volontés de mon père… n’oublie jamais… et que tes fils n’oublient jamais… cet outrage, le premier que notre race ait subi… Vis pour venger à son heure, cet outrage ! Et à défaut de toi, que tes fils le vengent sur les Romains !)

La chaîne aux pieds, les menottes aux mains, incapable de remuer, je n’ai pas voulu réjouir mes bourreaux par ma fureur impuissante ; j’ai fermé les yeux, et me suis tenu immobile sans trahir ni colère ni douleur, pendant que les gardiens, irrités par mon calme, me frappaient avec acharnement. Cependant, une voix leur ayant dit quelques paroles très-vives en langue romaine, leurs coups cessèrent ; alors j’ouvris les yeux, je vis trois nouveaux personnages : l’un d’eux gesticulait d’un air fâché, parlait très-vite aux gardiens, me désignant de temps à autre. Cet homme, petit et gros, avait la figure fort rouge, des cheveux blancs, une barbe grise pointue ; il portait une courte robe de laine brune, des chausses de peau de daim et des bottines de cuir ; il n’était pas vêtu à la mode romaine ; deux hommes l’accompagnaient : l’un, vêtu d’une longue robe noire, avait un air grave et sinistre ; l’autre tenait un coffret sous son bras. Pendant que je regardais ces personnages, le vieillard, mon voisin, enchaîné comme moi, me montra du regard le gros petit homme à figure rouge et à cheveux blancs, qui s’entretenait avec les gardiens, et me dit d’un air de colère et de dégoût :

— Le maquignon !… le maquignon !…

— Qui ? — lui ai-je répondu, ne le comprenant pas ; — quel maquignon ?

— Celui qui nous achète ; les Romains appellent ainsi les marchands d’esclaves (B).

— Quoi ! acheter des blessés ? — dis-je au vieillard dans ma surprise ; — acheter des mourants ?