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femme se passera de tes soins ; elle se servira elle-même, ce sera sa punition.

Et Grémion, sortant avec les bourreaux, laissa Geneviève seule.

Ce ne furent plus alors le souvenir des tendres et miséricordieuses paroles du fils de Marie qui vinrent à la pensée de l’esclave, ainsi qu’elles lui étaient venues avant son supplice, ce furent les paroles de vengeance, d’anathème, qu’il avait aussi prononcées le matin même contre les méchants et les oppresseurs. Pendant les longues heures qu’elle passa seule avec le souvenir de sa honte, elle se fit à elle-même le serment que, si jamais les dieux voulaient qu’elle fût mère et qu’elle pût garder près d’elle son enfant, elle s’efforcerait de lui inspirer à la fois l’amour des faibles et des opprimés ; mais de lui inspirer aussi l’horreur de la servitude, la haine des Romains, au lieu de laisser dégénérer dans sa jeune âme ces fiers ressentiments, comme ils avaient dégénéré chez son époux Fergan, qu’elle aimait tant, malgré la faiblesse son caractère, lui qui descendait pourtant de cette forte et indomptable race de Joel, le brenn de la tribu de Karnak.

Geneviève était depuis trois jours renfermée dans la salle basse de la maison où Grémion, son maître, lui avait, chaque matin, apporté un peu de nourriture, lorsque un soir, à une heure assez avancée de la nuit, la porte de la prison de l’esclave s’ouvrit ; elle vit apparaître Aurélie, sa maîtresse, tenant une lampe d’une main, et de l’autre un paquet qu’elle déposa sur la dernière marche de l’escalier.

— Pauvre femme ! tu as bien souffert à cause de moi, — dit Aurélie dont les yeux se mouillèrent de larmes en s’approchant de Geneviève.

Celle-ci, malgré la bonté de sa maîtresse, ne put s’empêcher de lui dire avec amertume :

— Si vous aviez une fille et que des hommes l’eussent dépouillée de ses vêtements pour la battre à coups de fouet, par ordre d’un maître, que diriez-vous de l’esclavage ?