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— Jeane, allez-vous donc aussi hors de la ville ? — dit Aurélie à la femme de Chusa. — Voici le jour, rentrons au logis ; il serait imprudent de prolonger notre absence.

— Moi, je ne rentre pas encore ; je suivrais Jésus au bout du monde, — répondit Jeane avec exaltation.

Et descendant de son banc, elle tira de sa poche une lourde bourse remplie d’or, qu’elle mit dans la main de Simon au moment où il allait quitter la taverne sur les pas du fils de Marie.

— Le jeune maître a vidé ce soir son aumônière, — dit Jeane à Simon, — voici de quoi la remplir.

— Encore vous ! — répondit Simon avec reconnaissance à la vue de Jeane : — votre charité ne se lasse pas[1].

— C’est la tendresse de votre maître qui ne se lasse pas de secourir, de consoler les pauvres, les repentants et les opprimés, — répondit la femme de Chusa.

Geneviève, qui épiait avec inquiétude toutes les paroles des émissaires des pharisiens, entendit l’un de ces deux hommes dire à l’autre :

— Suivez et surveillez le Nazaréen… Moi, je cours chez les seigneurs Caïphe et Baruch leur rendre compte des abominables blasphèmes et des impiétés qu’il a proférés cette nuit en compagnie de ces vagabonds… Il ne faut pas cette fois que le Nazaréen échappe au sort qui l’attend…

Et les deux hommes se séparèrent.

Aurélie, après avoir paru réfléchir, dit à sa compagne :

— Jeane, je ne saurais vous exprimer ce que me fait éprouver la parole de ce jeune homme. Cette parole, tantôt simple, tendre et élevée, tantôt satirique et menaçante, pénètre mon cœur. C’est pour mon esprit comme un nouveau monde qui s’ouvre ; car pour nous autres païens, ce mot charité est une parole et une chose

  1. Suzanne, et Jeane, femme de Chusa, intendant de la maison d’Hérode, assistaient Jésus de leurs biens (Évangile selon saint Luc, ch. XI, v. 5)