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contre un si puissant seigneur ?… Me résigner, et mendier un pain que je ne trouve pas tous les jours.

À cette plainte, Jésus s’écria avec un redoublement d’indignation :

« Oh ! malheur à vous, hypocrites ! parce que sous prétexte de vos longues prières, vous dévorez les deniers des veuves ! Malheur à vous serpents ! race de vipères ! Comment éviterez-vous d’être condamnés au feu de l’enfer ?… C’est pourquoi je vais vous envoyer des prophètes et des sages pour vous sauver… Mais, hélas ! — ajouta le fils de Marie avec un accent de grande tristesse, — vous tuerez les uns, vous crucifierez les autres ; vous les persécuterez de ville en ville… afin que tout le sang innocent qui a été répandu sur la terre retombe sur vous, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, que vous avez tué entre le temple et l’autel ! »

— Oh ! ne crains rien, notre ami ! si ces avaleurs de chameaux veulent répandre ton sang, — s’écria Banaïas en frappant sur la poignée de son grand coutelas rouillé, — il faudra d’abord qu’ils répandent le nôtre, et nous les attendons !…

— Oui, oui, — reprit la foule presque tout d’une voix, — ne crains rien, Jésus de Nazareth, nous te défendrons !

— Nous mourrons pour toi, s’il le faut !

— Tu seras notre chef !

— Notre roi !

Mais, le fils de Marie, comme s’il se fût défié de cette entraînement, secoua la tête avec une tristesse de plus en plus profonde ; des larmes coulèrent de ses yeux, et il s’écria d’une voix désolée :

« Oh ! Jérusalem !… Jérusalem !… toi qui tues les prophètes ! toi qui lapides les sages qui te sont envoyés ! combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes !… Et tu ne l’as pas voulu… non… tu n’as pas voulu[1] !… »

  1. Pour toutes les citations précédentes, voir Évangile selon saint Matthieu, ch. XXII, v. 1-37.