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— C’est une de ces créatures qui trafiquent de leur corps, — dit Jeane à Aurélie ; — ce n’est pas la misère qui l’a jetée, comme tant d’autres, dans cette dégradation, mais une première faute, suivie de l’abandon de celui qui l’avait séduite et qu’elle adorait. Depuis, malgré les désordres de sa vie et la vénalité de ses amours, Madeleine a prouvé que son cœur n’était pas tout-à-fait corrompu : les pauvres ne l’implorent jamais en vain, et elle a passionnément aimé quelques hommes d’un amour aussi dévoué que désintéressé, leur sacrifiant des princes des prêtres, des docteurs de la loi, de riches seigneurs, qui la comblaient à l’envi de leurs dons ; mon mari, entre autres, était du nombre de ces magnifiques…

— Votre mari, chère Jeane ?

— Il a dépensé pour Madeleine beaucoup d’argent… elle est si belle ! — répondit la jeune femme avec un sourire d’indulgence. — Il est de ceux qui l’ont enrichie. On dit des merveilles de sa maison, ou plutôt du palais qu’elle habite ; ses coffres sont remplis des étoffes les plus rares, des plus éblouissantes pierreries… Les vases d’or et d’argent, venus à grands frais de Rome, d’Asie et de Grèce, encombrent ses buffets ; la pourpre et la soie de Tyr ornent les murailles de sa demeure, et ses serviteurs sont aussi nombreux que ceux d’une princesse !

— Nous avons aussi, en Italie et dans la Gaule romaine, de ces créatures, dont le luxe insolent insulte à la médiocre fortune de beaucoup d’honnêtes femmes, — répondit Aurélie. — Mais que peut vouloir cette Madeleine au jeune maître de Nazareth ?…

— Elle vient sans doute, comme plusieurs de ses pareilles que vous voyez là, moins riches qu’elle, mais non moins dégradées, écouter la parole de Jésus, cette douce et tendre parole, qui pénètre les cœurs par sa miséricorde, les attendrit, et y fait germer le repentir…

Geneviève, entendant ces mots de Jeane, se rappela le récit de Sylvest, le grand-père de son mari, récit qui racontait l’horrible vie de Siomara, la courtisane, et sa mort épouvantable.