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tha le passe dans l’anneau du timon ; ma mère le prend, s’y cramponne de ses deux mains… Martha s’élance en ouvrant les bras… et elle reste étranglée… pendante le long du timon… Mais ses deux petites filles, au lieu de tomber à terre, demeurent suspendues de chaque côté du sein de leur mère, étranglées comme elle par un même lacet qu’elle s’était passée derrière le cou après avoir attaché à chaque bout un de ses enfants (F).

Tout cela est arrivé si promptement, et avec tant d’ensemble, que les Romains, d’abord immobiles de stupeur et d’épouvante, n’eurent pas le temps de prévenir ces morts héroïques !… Ils sortaient à peine de leur surprise, lorsque ma mère Margarid, voyant toutes celles de notre famille expirantes ou mortes à ses pieds, s’est écriée d’une voix forte et calme en lavant vers le ciel son couteau sanglant :

— Non, mes filles ne seront pas outragées !… non, nos enfants ne seront pas esclaves !… Nous tous, de la tribu de Joel, le brenn de la tribu de Karnak, mort, comme les siens, pour la liberté de la Gaule, nous allons le rejoindre ailleurs… Tant de sang versé t’apaisera peut-être, ô Hésus !…

Et ma mère s’est frappée d’une main tranquille.

Moi… après tout ceci… en face de ce chariot de mort, ne voyant pas sortir ma femme Hénory du réduit où elle devait être avec mes deux enfants, où elle s’était tuée sans doute comme ses sœurs, après avoir mis à mort mon petit Sylvest et ma petite Siomara… le vertige m’a saisi, mes yeux se sont fermés… je me suis senti mourir, et j’ai, du fond de l’âme, remercié Hésus de ne pas me laisser seul ici… tandis que tous les miens allaient revivre ensemble dans des mondes inconnus…

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Mais non… c’est ici-bas que je devais revivre… puisque j’ai survécu à tant de douleurs !