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LES MYSTÈRES DU PEUPLE.

gner quelque chose pour eux, afin qu’ils ne connaissent pas les maux dont j’ai souffert, est-ce donc injuste ?

— Eh ! qui vous parle du présent ? — s’écria Pierre ; — qui vous parle de ce temps-ci, où le fort opprime le faible, le riche le pauvre, l’inique le juste, le maître l’esclave ? En temps d’orage et de tempête, chacun élève comme il peut un abri pour lui et pour les siens ; c’est justice !… Mais, quand seront venus les temps promis par les prophètes, temps divins où un soleil bienfaisant resplendira toujours, où il n’y aura plus d’orages, où la naissance de chaque enfant sera saluée par des chants joyeux, comme un bienfait du Seigneur, au lieu d’être pleurée, ainsi qu’aujourd’hui, comme une affliction, parce que, conçu dans les larmes, l’homme, de nos jours, vit et meurt dans les larmes ; lorsque, au contraire, l’enfant, conçu dans l’allégresse, devra vivre dans l’allégresse ; lorsque le travail, écrasant aujourd’hui, sera lui-même une allégresse, tant seront abondants les fruits de la terre promise… par le Seigneur, chacun, tranquille sur l’avenir de ses enfants, n’aura plus à prévoir, à thésauriser pour eux, en se privant, s’exténuant de travail… Non, non, quand Israël jouira enfin du royaume de Dieu, chacun travaillera pour tous, et tous jouiront du travail de chacun !

— Au lieu qu’à cette heure, — dit l’artisan qui s’était plaint de l’iniquité du banquier Jonas, — tous travaillent pour quelques-uns ; ces quelques-uns ne travaillent pour personne et jouissent du travail de tous.

— Mais, pour ceux-là, reprit Pierre, notre maître de Nazareth l’a dit : « Le Fils de l’Homme enverra ses anges, qui ramasseront et enlèveront hors de son royaume tout ce qu’il y a de scandaleux et de gens qui commettent l’iniquité ; ceux-là, on les précipitera dans une fournaise ardente, et c’est là qu’il y aura des pleurs et des grincements de dents[1]. »

  1. Évangile selon saint Matthieu, ch. XVIII, v. 41-42.