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LES MYSTÈRES DU PEUPLE.

Cette peinture charmante de la paix et du bonheur universel parut faire une profonde impression sur l’auditoire de Pierre ; plusieurs voix s’écrièrent :

— Oh ! viennent ces temps-là !… car à quoi bon s’égorger peuple contre peuple ?

— Que de sang perdu !

— Et qui en profite ? les Pharaons conquérants… hommes de sang, de bataille et de rapine.

— Oh ! viennent ces temps de félicité, de justice, de douceur ; et, comme disent les prophéties, un petit enfant nous conduira tous.

— Oui, un petit enfant suffira… car nous serons doux, parce que nous serons heureux, — reprit Banaïas, — tandis qu’à cette heure nous sommes si malheureux, si courroucés, que cent géants ne suffiraient pas à nous contenir.

— Et ces temps venus, — reprit Pierre, — tous ayant une part aux biens de la terre fécondée par le travail de chacun, tous étant sûrs de vivre en paix et félicité, on ne verra plus les oisifs jouir du fruit des labeurs d’autrui : le Seigneur ne l’a-t-il pas dit par la voix du fils de David, l’un de ses élus :

« J’ai aussi eu en horreur tout le travail auquel je me suis appliqué sous le soleil, en devant laisser le fruit à un homme qui me succédera.

« Car il y a tel homme qui travaille avec sagesse, avec science, avec industrie, et il laissera tout ce qu’il a acquis à un homme qui n’y a pas travaillé… Et qui sait s’il sera sage ou insensé ?

« Or, c’est là une vanité et une grande affliction[1]. »

— Vous le savez, — ajouta l’apôtre, — la voix du fils de David est sainte comme la justice ; non, celui-là qui n’a pas travaillé ne doit pas profiter du travail d’autrui !

— Mais, si j’ai des enfants ? — dit une voix ; — si, en me privant de sommeil et de la moitié de mon pain quotidien, je parviens à épar-

  1. Ecclésiaste, ch. II, v. 18-19-21.