maîtres, — dit un esclave d’un air sombre. — Or, puisque nous valons nos maîtres, de quel droit nous tiennent-ils en esclavage ?
— Est-ce parce que, s’il y a cent maîtres d’un côté, nous sommes dix mille esclaves de l’autre ? — reprit un autre. — Patience !… patience !… un jour viendra où nous compterons nos maîtres, et nous nous compterons ensuite ; après quoi s’accomplira la parole de Jésus : Les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers…
— Il nous dit, à nous artisans, qui, par le poids des impôts et par l’avarice des vendeurs, manquons souvent de pain et de vêtements, ainsi que nos femmes et nos enfants : « Ne vous inquiétez pas ; Dieu, notre père, pourvoit à la parure des lis des champs… à la nourriture des passereaux… un jour viendra où rien ne vous manquera. »
— Oui, car Jésus a dit encore ceci : « N’ayez ni or, ni argent, ni monnaie dans votre bourse, ni sac pour le voyage, ni deux habits, ni souliers, car celui qui travaille mérite d’être nourri[1]… »
— Voici le maître !… voici le maître !… — dirent quelques personnes placées près de la porte de la taverne. — Voici notre ami !…
À ces mots, il se fit un grand mouvement dans la taverne : Aurélie, non moins curieuse que son esclave Geneviève, monta sur un escabeau afin de mieux voir le jeune maître. Leur attente fut trompée ; ce n’était pas encore lui : c’était Pierre, l’un de ses disciples.
— Et Jésus ? — cria-t-on tout d’une voix.
— Où est-il ?
— Le Nazaréen ne viendra-t-il donc pas ?
— Ne verrons-nous pas notre ami, l’ami des affligés ?
— Moi, Judas et Simon, nous l’accompagnions, — répondit Pierre, — lorsqu’aux portes de la ville une pauvre femme, nous voyant passer, a supplié le maître d’entrer pour visiter sa fille malade : c’est ce qu’il a fait. Il a gardé Judas et Simon près de lui et m’a envoyé vers vous. Ceux qui ont besoin de lui n’ont qu’à l’attendre ici : il viendra bientôt.
- ↑ Évangile selon saint Matthieu, ch. X, v. 9.