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LES MYSTÈRES DU PEUPLE.

Ça ne remplit ni notre ventre ni notre bourse, c’est vrai !… mais ça soulage… aussi je passerais des jours et des nuits à l’écouter dauber sur les prêtres, les docteurs de la loi et autres pharisiens ! Et bien il fait, notre ami, car il faut les entendre, ces pharisiens ; si l’on vous conduit devant leur tribunal pour quelque vétille, ils ne savent que vous crier : « Vite à la geôle et au fouet ! voleur ! scélérat ! tison d’enfer ! fils de Satan ! » et autres paternelles remontrances. Par le nez d’Ezéchiel ! croient-ils ainsi morigéner l’homme ! Ils ne savent donc pas, les maudits, que tel cheval rétif à la houssine obéirait à la voix ? Oh ! il sait bien cela, lui, notre ami de Nazareth, qui l’autre jour nous disait : « Si votre frère a péché contre vous, reprenez-le… et, s’il se repent, pardonnez-lui[1]… » Voilà parler… car, par l’oreille de Melchisédech ! je ne suis pas tendre et bénin comme l’agneau pascal, moi… Non, non, j’ai eu le temps de m’endurcir le cœur, la tête et la peau. Depuis vingt ans, mon père m’a chassé de sa maison pour une sottise de jeunesse ; depuis lors, j’ai vécu aux crochets du diable… Je suis aussi difficile à brider qu’un âne sauvage… Et pourtant, foi de Banaïas, d’un seul mot dit de sa voix douce, notre ami de Nazareth me ferait aller au bout du monde !

— Si Jésus ne peut venir, — reprit un autre buveur, — il nous enverra quelqu’un de ses disciples nous avertir et nous prêcher la bonne nouvelle à la place du maître.

— À défaut de gâteau de fine fleur de froment pétri de miel, on mange du pain d’orge, — dit un vieux mendiant courbé par les années. — La parole des disciples est bonne… celle du maître vaut mieux…

— Oh ! oui, — reprit un autre vieux mendiant ; — à nous qui désespérons depuis notre naissance, il nous donne l’espérance éternelle…

— Jésus nous enseigne que nous ne sommes pas au-dessous de nos

  1. Évangile selon saint Luc, ch. XVII, v. 3.