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LES MYSTÈRES DU PEUPLE.

creux qu’il soit, nous n’aurons pas même ce souper de paroles ; car le Nazaréen ne viendra pas maintenant, il est trop tard.

— Que le Dieu tout-puissant fasse qu’il vienne, au contraire ! — dit une pauvre femme assisse par terre près des deux courtisanes et tenant entre ses bras son enfant malade. — Je suis venue à pied de Bethléem pour prier notre bon Jésus de guérir ma fille ; il est sans pareil pour la guérison des maux des enfants, et loin de faire payer ses conseils, il vpus donne souvent de quoi acheter les baumes qu’il prescrit…

— Par le ventre de Salomon ! j’espère bien aussi que notre ami Jésus viendra ce soir, — reprit un homme de grande taille, à figure farouche et à longue barbe hérissée, coiffé d’un lambeau de turban rouge, vêtu d’un sayon de poil de chameau presque en guenilles, serré à la taille par une corde soutenant un large coutelas rouillé sans fourreau. Cet homme tenait en outre à la main un long bâton terminé par une masse de fer. — Si notre brave ami de Nazareth ne vient pas ce soir, j’aurai pour rien perdu ma nuit, car j’avais fait prix pour escorter un voyageur qui craignait d’aller seul de Jérusalem à Béthanie, de peur des mauvaises rencontres.

— Voyez donc ce bandit, avec sa figure patibulaire et son grand coutelas ! voilà-t-il pas une escorte bien rassurante ! — dit à demi-voix à son compagnon l’un des deux émissaires, assis non loin de Geneviève. — Quel effronté scélérat !…

— Il eût égorgé et dépouillé ce trop confiant voyageur dans le premier chemin creux ! — répondit l’autre émissaire.

— Aussi vrai que je m’appelle Banaïas, — reprit l’homme au grand coutelas, — j’aurais perdu sans regret cette bonne aubaine d’un voyageur à escorter, si notre ami de Nazareth était venu… J’aime cet homme-là, moi ! il vous console de traîner la guenille, en vous démontrant que, puisqu’ils ne peuvent pas plus entrer au paradis qu’un chameau passer par le trou d’une aiguille, tous les mauvais riches seront un jour rôtis comme des chapons à la cuisine de Belzébuth…