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LES MYSTÈRES DU PEUPLE.

charpentier de Nazareth est d’une audace qui passe toutes les bornes ; il ne respecte rien, mais rien : hier, c’était la loi, l’autorité, qu’il attaquait dans ses représentants ; aujourd’hui, ce sont les riches contre lesquels il excite la lie de la populace… N’a-t-il pas osé prononcer ces exécrables paroles : « Il est plus aisé qu’un chameau passe par le trou d’une aiguille qu’il ne l’est qu’un riche entre dans le royaume du ciel[1] ? »

À cette citation du seigneur Jonas, tous les convives s’exclamèrent à l’envi.

— C’est abominable !…

— Où allons-nous ?…

— À l’abîme, comme l’a si bien démontré le seigneur Baruch !

— Ainsi, nous tous, qui possédons de l’or dans nos coffres, nous voici voué au feu éternel !…

— Comparés à des chameaux qui ne peuvent passer par le trou d’une aiguille !

— Et ces monstruosités sont dites et répétées par le Nazaréen à la lie de la populace…

— Afin de l’exciter au pillage des riches…

— N’est-ce pas indignement flatter les détestables passions de tous ces gueux déguenillés, dont Jésus de Nazareth fait ses plus chers délices, et avec lesquels, dit-on, il s’enivre[2] ?

— Je ne peux guère en vouloir à ce garçon d’aimer le vin, — dit Ponce-Pilate en riant et en tendant de nouveau sa coupe à son esclave. — Les buveurs ne sont point gens dangereux…

— Mais ce n’est pas tout, — reprit Caïphe, prince des prêtres ; — non-seulement ce Nazaréen outrage la loi, l’autorité, la propriété des richesses, il attaque non moins audacieusement la religion de nos

  1. Évangile selon saint Matthieu, ch. IXI, v. 24.
  2. Le fils de l’Homme est venu mangeant et buvant, et vous dites : C’est un homme de bonne chère, et qui aime à boire du vin ; c’est l’ami des publicains et des gens de mauvaise vie (Évangile selon saint Luc, chapitre VIII, v. 34.)