Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 2.djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.


Chers Lecteurs,

Nous voici arrivés à l’ère chrétienne : j’ai tâché de vous donner une idée de cette monstrueuse société romaine qui asservissait, corrompait et épouvantait le monde.

Dans le récit de la vie des deux descendants de notre famille gauloise, Sylvest et Siomara, je vous ai présenté les conséquences les plus communes de l’esclavage où gémissaient nos pères et nos mères asservis sous l’oppression de Rome. Siomara, c’est l’effrayante dépravation qu’engendre souvent et forcément la servitude. Sylvest, c’est l’esclave martyr qui ne songe qu’à briser ses fers par la révolte, c’est le Gaulois conquis attendant le jour et l’heure d’exercer de légitimes et terribles représailles sur le conquérant, et de revendiquer, les armes à la main, le sol, la patrie, les droits, la nationalité, la religion, que la violence lui a ravis.

Cette sourde et menaçante ardeur d’insurrection contre la domination romaine couvait chez tous les peuples lorsque Jésus de Nazareth se révéla.

J’ai essayé, dans l’épisode suivant, où se trouve mêlée une des descendantes de notre famille gauloise, de mettre en action les principaux événements de la vie sublime de Jésus, de vous montrer ce Christ, si divinement adorable, parlant, agissant ainsi qu’il a parlé et agi, puisque, dans les scènes où il paraît, il ne prononce pas un mot, il n’accomplit pas un acte qui ne lui ait été attribué par ses disciples Jean, Marc, Luc ou Matthieu, autrement dit les quatre évangélistes, qui, vous le savez, chers lecteurs, ont écrit chacun de leur côté, mais avec de graves et nombreuses contradictions, la vie, les actes et les paroles de Jésus, leur jeune maître, bien longtemps après sa mort ; de sorte que tout ce que nous savons de lui ne nous est parvenu que par les récits de ses quatre disciples, auteurs des Évangiles, à l’affirmation desquels, bien que souvent contradictoire, on a dû se rendre.

Si j’ai mis, comme on dit, Jésus en scène, je n’ai fait que suivre en cela l’exemple donné par un grand nombre d’écrivains depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours ; usage qui a pris surtout racine dans les pays les plus catholiques du monde, tels que l’Italie et l’Espagne, au temps le plus formidable de l’inquisition, tels encore que la France, la fille aînée de l’Église, ainsi que l’appellent les catholiques[1].

Si large, si absolu, si légal que soit pour chaque citoyen le droit de libre pensée, de libre examen, de libre conscience sur toutes les questions religieuses, en tant que la discussion reste convenable et mesurée, nous n’approfondirons pas ici cette thèse, discutée, controversée depuis la mort de Jésus : d’un côté, par les savants, les historiens ou les philosophes ; de l’autre, par les théologiens les plus habiles, les plus éloquents et les plus convaincus.

« Jésus est-il un être surhumain, surnaturel, le Fils de Dieu, conçu par la sainte Vierge, grâce à l’intervention du Saint-Esprit, et envoyé momentanément sur la terre par Dieu le Père, dans le but

  1. Il faudrait un volume pour énumérer l’énorme quantité de romans mystiques, de poëmes religieux, de compositions poético-romanesques dans lesquels figure Jésus comme personnage principal, depuis la Divine Comédie du Dante et la Christiade de Vida jusqu’au Génie du Christianisme de Chateaubriand et à l’Ahasverus de mon honorable ami Edgard Quinet, il serait non moins difficile d’énumérer la prodigieuse quantité de pièces dramatiques dont la naissance, la vie ou la mort de Jésus ont été le sujet.

    MM. de Montmerqué et Michel ont publié, en 1839, sous le titre de Théâtre français au moyen âge, un recueil d’une immense érudition qui renferme toute une série de Mystères et de Miracles jouée du XIe au XIVe siècle, et dans lesquels Dieu ou Jésus sont constamment l’un des interlocuteurs. Nous citerons entre autres :

    Le Mystère de la Conception et Nativité de la glorieuse Vierge Marie, la Nativité, Passim, Résurrection de Jésus-Christ, joué à Paris l’an 1567. In folio.

    Le Mystère de la Passion de Jésus Christ, joué à Paris cet an 1490. In-folio.

    Le premier et le second volume du Triomphant Mystère des Actes des Apôtres translaté fidèlement à la vérité historique, joué à Bourges et imprimé à Paris, 1540 In-folio.

    M. Onésyme Leroy, savant et littérateur des plus distingués, dans ses études sur les Mystères (1835, Paris), dit que l’usage de représenter des pièces sur des sujets religieux s’est conservé jusqu’à nos jours dans certaines villes de l’Artois. Dernièrement encore, on lisait dans un journal étranger l’annonce d’une représentation en plein champ, dans le Tyrol, du Mystère de la Passion.

    Enfin, d’après le recueil des Affiches de Boudet, il est prouvé que, vers le milieu du siècle passé, on allait voir la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, en figures mouvantes comme le naturel, sur le pont de l’Hôtel-Dieu, où de tout temps (ajoute le journaliste), est représentée la Crèche.

    L’oratorio, composition du même genre, mais de plus courte dimension, est une invention attribuée à saint Philippe de Néri, qui l’introduisit dans son oratoire pour servir de passe-temps et de distraction après ses sermons. Les oratorios sont ainsi devenus des opéras religieux ; on les compterait par centaines. Tous les musiciens connaissent le Christ aux Oliviers, dédié par l’immortel Beethoven à la reine de Bavière, et dans lequel se trouve le magnifique air de TÉNOR chanté par Jésus-Christ. Dans cette œuvre célèbre, le grand compositeur a suivi les principes d’esthétique musicale posés par le savant Doui, qui veut qu’on fasse chanter le Christ en voix de TÉNOR, Dieu le Père en voix de BARYTON et le Diable en voix de BASSE.

    En Espagne même, cette terre classique des spectacles pieux, l’on trouve l’auto sacramental, drame allégorique. Les plus célèbres écrivains dramatique de l’Espagne : Mira de Mescua, Valez de Guevara, Perez de Montalvan, Fr. de rozas, Tirso de Molina ont composé des drames religieux ; Calderon en a laissé cinq, entre autres les Mystères de la Messe ; Le Christ en est le personnage principal. Lope de Vega a écrit le Nom de Jésus et la Fuite en Égypte. Dans le premier de ces drames figure Jésus enfant ; dans le second, Jésus, Marie et Joseph.

    Enfin, voici les titres de quatre tragédies françaises en cinq actes et en vers composées par des écrivains contemporains :

    Jésus-Christ ou la véritable religion, par M. de Bohaire, Paris, 1792.

    (Ma tragédie, dit l’auteur aux comédiens, n’est qu’un extrait de l’Évangile.)

    La Mort de Jésus-Christ, tragédie sainte, par M. D. Moyse, dédiée à monseigneur le duc d’Angoulême, Carpentras, 1820.

    La Passion de Jésus-Christ, par M. François Cristal, avocat à la cour royale de Paris, 1833.

    La Mort de Jésus-Christ, tragédie sociale, par le citoyen Sauriac, Paris, 1849.