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pire ; et d’ailleurs, je l’avoue, mon grand-père m’avait bien jugé : je n’avais pas hérité, tant s’en faut, de la furie et de l’outrevaillance de notre vieille race gauloise et de sa farouche impatience de l’esclavage. La servitude me pesait comme elle pèse à tous ; mais (que mes aïeux, et si je dois avoir un fils, que mes descendants me le pardonnent) je n’aurais jamais osé songer à briser mes fers par la violence ou à échapper par la fuite à ma servitude ; mon caractère est resté aussi débile que mon corps, et lorsque je relis parfois les terribles combats des guerriers de ma race et les effrayants périls auxquels mon grand-père Sylvest a échappé, je frissonne d’épouvante, la sueur baigne mon front, et je me fais à moi-même le serment de ne jamais m’exposer, volontairement du moins, à de pareils dangers, et de faire de mon mieux tourner ma navette pour satisfaire mes maîtres ; j’ai gagné à cette résignation d’être un peu moins maltraité que mes compagnons, quoique j’aie fait comme eux connaissance avec le fouet et les verges, malgré ma douceur et mon envie de bien faire ; mais les maîtres ont leurs caprices et leurs moments de colère ; regimber contre eux, c’est s’exposer à un pire sort… J’endurais donc le mien, me contentant de me frotter les épaules quand elles me cuisaient… Malgré l’exemple de mon aïeul et les sollicitations de quelques-uns de mes compagnons, qui me croyaient d’une grande énergie, comme étant de la race de Joel, le brenn de la tribu de Karnak, je ne voulus jamais faire partie des réunions secrètes des Enfants du Gui, qui s’étaient perpétuées en Gaule… Le supplice des esclaves crucifiés pour rébellion m’inspirait trop d’effroi, et je frémissais, moi, chétif, à la seule pensée d’une révolte armée.

D’ailleurs, ces entreprises me semblaient insensées… En effet, vers le commencement du règne de Tibère, successeur d’Auguste, les sociétés secrètes des Enfants du Gui, et d’autres conjurés gaulois, après avoir longtemps attendu le moment opportun pour la révolte, se décidèrent, d’après les avis des druides, à tenter un soulèvement général.