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les races dégénèrent dans l’esclavage, et pour la force du caractère et pour celle du corps… Mon aïeul Joel et mon père Guilhern avaient tous deux plus de six pieds romains ; peu d’hommes auraient pu les vaincre à la lutte ; ma taille n’atteignait pas la leur ; mais avant d’être courbé par le travail et les années, elle était haute et robuste… Déjà mon fils, ton pauvre père, atteint pour ainsi dire dans les entrailles de sa mère, et par suite des misères de notre vie errante et fugitive, avait dégénéré de l’antique vigueur de notre race, et toi, tu es encore plus petit et plus faible que ton père. Les habitudes sédentaires de ton état de tisserand, l’insuffisance de la nourriture accordée aux esclaves, augmentent encore ta débilité corporelle ; puisse ton caractère ne pas s’affaiblir encore ! Puisses-tu retrouver l’énergie de ta race, l’heure de la délivrance et de la justice venue, si elle vient, hélas ! pendant ta vie !… Tu sauras, du moins, par ces écrits, les maux que tes aïeux ont soufferts ; cette conscience et cette connaissance réveilleront peut-être en toi l’ardeur du sang gaulois, et te donneront le courage et la force de briser le joug odieux que tu portes, toi, de race autrefois libre, et de venger toi et tes aïeux sur le Romain, notre oppresseur éternel. J’avais joint à ce récit, que tu liras, celui de mon évasion avec Loyse, ma femme, évasion dont je t’ai quelquefois parlé ; j’y avais retracé les douces jouissances des seuls jours de liberté dont j’aie jamais joui durant ma longue vie d’esclavage ; j’avais aussi fait le récit de ma rencontre avec un de nos courageux et vénérés druides, esclave comme moi et mes compagnons, lors des travaux de l’aqueduc de Marseille ; ces deux récits se sont égarés : le plus important des trois est resté ; c’est celui que je te remets… Jure-moi, mon enfant, de conserver pieusement ce dépôt ; si tu ne crois pas pouvoir le cacher sûrement quelque part, porte-le sur toi au moyen de cette ceinture, sous tes vêtements, ainsi que souvent j’ai fait moi-même… Adieu, mon enfant, sois fidèle à tes dieux ; n’aie qu’un espoir, qu’un but : la délivrance de notre Gaule