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pagné d’un piéton. À deux reprises, nous l’avons rejoint au milieu de la mêlée ; son bras, fort malgré son âge, frappait sans relâche ; sa lourde hache résonnait sur les armures de fer comme le marteau sur l’enclume. Son étalon Tom-Bras mordait avec furie tous les Romains à sa portée ; il en a soulevé un presque de terre en se cabrant ; il le tenait par la nuque, et le sang jaillissait. Plus tard le flot des combattants nous a de nouveau rapproché de mon père déjà blessé ; j’ai renversé, broyé sous les pieds de mon cheval un des assaillants du brenn ; nous avons encore été séparés de lui. Nous ne savions rien des autres mouvements de la bataille ; engagés dans la mêlée, nous ne pensions qu’à repousser la légion de fer dans la rivière. Nous poussions fort à cela ; déjà nos chevaux trébuchaient sur les cadavres comme sur un sol mouvant, nous avions entendu, non loin de nous, la voix éclatante des bardes : ils chantaient à travers la mêlée :

« Victoire à la Gaule !!! — Liberté ! liberté !!! — Encore un coup de hache ! — Encore un effort ! — Frappe… frappe, Gaulois ! — Et le Romain est vaincu. — Et la Gaule délivrée. — Liberté ! liberté !!! — Frappe fort le Romain ! — Frappe plus fort… frappe ! Gaulois ! »

Les chants des bardes, l’espoir victorieux qu’ils nous donnaient, redoublent nos efforts. Les débris de la légion de fer, presque anéantie, repassent la rivière en désordre ; nous voyons accourir à nous, saisie de panique, une cohorte romaine en pleine déroute ; les nôtres la refoulaient de haut en bas sur la pente de la colline au pied de laquelle nous étions. Cette troupe, jetée entre deux ennemis, est détruite… Nos bras se lassaient de tuer, lorsque je remarque un guerrier romain de moyenne taille, sa magnifique armure annonçait son rang élevé ; il était à pied, et avait perdu son casque dans la mêlée. Son grand front chauve, son visage pâle, son regard terrible, lui donnaient un aspect menaçant ; armé d’une épée, il frappait avec fureur ses propres soldats, ne pouvant arrêter leur fuite. Je le montrai du geste à Mikaël qui venait de me rejoindre.

— Guilhern, — me dit-il, — si partout l’on s’est battu comme ici,