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luire leurs prunelles. Un frémissement d’effroi couru parmi les esclaves : les plus faibles, poussant des gémissements lamentables, défaillirent et se laissèrent tomber à terre en se cachant la figure ; d’autres éclatèrent en imprécations contre les Romains ; d’autres enfin, mornes, mais résolus, paraissaient insensibles au péril.

Les buccinateurs firent retentir leurs clairons ; les hérauts ouvrirent les barrières de l’arène, et l’on vit entrer un grand nombre de couples de gladiateurs esclaves, offerts ou vendus par leurs maîtres pour cette fête sanglante, et forcés de combattre jusqu’à la mort (I)… Tous étaient coiffés de casques de différentes formes : les uns à visière grillée, d’autres à visière pleine seulement d’un côté ou trouée de deux ouvertures ; leur tablier de gladiateur, d’étoffe rouge ou blanche, attaché autour des reins par un ceinturon de cuir, laissant leur corps, leurs cuisses ou leurs jambes nues. Plusieurs portaient un brassard de fer au bras droit et un jambard de fer à la jambe gauche ; tous avaient l’épée à la main et presque tous le bouclier au bras gauche ; quelques-uns remplaçaient cette arme défensive par un filet frangé de plomb roulé autour de leur bras, et destiné à être lancé sur leur adversaire, afin d’empêcher ses mouvements et de le frapper plus facilement.

L’esclavage énerve souvent les courageux et double la lâcheté des lâches ; la plupart de ces gladiateurs forcés, loin de ressentir aucune haine les uns contre les autres, étaient plutôt liés entre eux par la confraternité du malheur : les valeureux se révoltaient à la pensée d’employer leur vaillance au divertissement de maîtres abhorrés, et d’être réduits à la condition de chiens de combat. Aussi, dès leur entrée dans l’arène, trois esclaves se tuèrent en s’enfonçant leur épée dans la gorge avant que les couples fussent placés face-à-face par les hérauts ; d’autres, éperdus d’effroi, jetant sabre et bouclier, pleurant à sanglots, se mirent à genoux, les mains étendues vers les spectateurs, pour demander grâce du combat ; mais ils furent couverts de huées… Parmi eux, un vieillard courut embrasser les pieds d’une des grandes