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Sylvest passa la dernière nuit dans sa prison presque sans sommeil, craignant toujours de voir apparaître Siomara… Grâce aux Dieux, elle ne lui apparut pas… Sans doute aussi, fidèle à sa promesse de ne pas s’adresser au seigneur Diavole, afin d’acheter, à un prix infâme, la liberté de Sylvest avant de l’avoir revu, elle l’attendait, ignorant qu’il était condamné à mourir dans l’arène.

La soirée consacrée à la fête romaine arriva ; deux heures auparavant, le vieil invalide crétois, le guichetier, au lieu d’apporter à Sylvest sa pitance habituelle, lui dit :

— Mon fils… tu as aujourd’hui le repas libre (C).

— Qu’est-ce qu’un repas libre ?

— Tu peux demander à manger tout ce que tu voudras, jusqu’à la valeur d’un demi-sou d’or… Les quatre-vingt esclaves destinés comme toi aux bêtes ont la même liberté… pour leur dernier repas… C’est un ancien et généreux usage…

— Oui… les édiles tiennent sans doute à ce que lions, tigres et crocodiles aient pour festin des esclaves délicatement nourris pendant leur dernier jour… Quant à moi, je n’offrirai pas ce régal à ces nobles animaux ; je ne mangerai rien aujourd’hui ; ils me prendront tel que m’a fait le régime de la prison.

— Voilà qui est singulier, — reprit le guichetier en réfléchissant et regardant Sylvest. — Vous êtes ici à peu près une trentaine d’esclaves gaulois condamnés aux bêtes, et vous êtes fermes comme des rocs ; tandis que les autres esclaves romains, espagnols, allemands, arabes, hébreux, tous… non, pas tous… les esclaves hébreux se montrent aussi d’un grand courage… ils se soucient assez peu de mourir, disant que leur véritable Messie viendra un jour.

— Qu’est-ce que leur Messie ?…

— Je n’en sais rien, mon fils… Un homme, disent-ils, qui, plus heureux que les nombreux Messies qui se sont produits naguère, affranchira leur peuple du joug des Romains, car Rome domine le pays des Hébreux comme le reste du monde… Mais enfin, ces Hébreux