— Quels profits ?
— Ignores-tu les merveilleux effets que, pour la guérison de certaines maladies, l’on retire maintenant du foie de gladiateur fraîchement tué ?… Les médecins sont là, tout prêts à s’abattre, comme une nuée de vautours, sur les corps des gladiateurs encore chauds… Car il faut que le foie soit retiré chaud des entrailles pour conserver toute sa vertu… et cette vente de foies, sans compter les générosités des vieillards et des épileptiques qui viennent aussi là chercher la vie dans la mort… (tu verras comment) constitue nos petits profits. Mais, par Pluton ! tout n’est pas plaisir pour nous ; car, une fois la fête terminée, les flambeaux éteints, l’amphithéâtre désert et noir comme la nuit… Ah ! mon fils !…
— Qu’avez-vous à frissonner ainsi ? Que se passe-t-il lorsque l’amphithéâtre est désert et noir comme la nuit ?
— Alors… vient l’heure des sorcières !…
— Des sorcières ! — dit Sylvest en tressaillant à son tour. — Et que viennent-elles faire au cirque… à cette heure de la nuit ?
— Oh ! c’est l’heure où, prenant la forme d’hyènes, de louves, de couleuvres, d’oiseaux de proie ou d’animaux inconnus plus effrayants encore, les magiciennes, se glissant dans les ténèbres, viennent se disputer, pour leurs sortilèges, les débris humains dont est jonché le sable ensanglanté de l’arène… Ah ! que de fois, frémissant dans ma logette, moi, vieux soldat pourtant, j’ai entendu au loin les cris, les grondements effrayants des sorcières s’arrachant ces lambeaux de chair à demi-dévorés, ces têtes arrachées du tronc labourées et trouées par l’ongle et la dent des bêtes féroces !… Ah ! mon fils ! la sueur me vient au front en songeant aux bruits mystérieux, formidables, que j’entendrai encore dans la nuit de demain, après la fête…
Et le guichetier laissa Sylvest dans de nouvelles angoisses… Peut-être Siomara, sous la forme d’une louve, viendrait-elle, dans la nuit du lendemain, disputer les débris du corps de son frère aux autres magiciennes.