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seigneur Diavole, l’un des plus méchants maîtres que j’aie servis et que je sers… Un dernier mot, ma sœur : il y a bientôt deux ans, ayant accompagné Diavole dans une villa voisine de celle d’une grande dame romaine, dont l’intendant fait travailler beaucoup d’esclaves de fabriques, j’ai rencontré là une jeune Gauloise de Paris, vendue après le siège de cette ville ; nous nous sommes aimés, et, une nuit, devant l’astre sacré des Gaules, nous nous sommes donné notre foi… seul mariage permis aux esclaves malgré leurs misères… Les dieux ont béni notre amour, car Loyse, ma femme, a l’espoir d’être mère… Enfin, hier, apprenant par hasard que la belle Gauloise arrivée récemment à Orange, c’était toi, ma sœur, j’ai feint de flatter la corruption de mon maître pour trouver le moyen de m’introduire chez toi… Durant la nuit que je viens d’y passer, j’ai été témoin de mystères effrayants… ils ont un moment ébranlé ma raison… oui… un moment j’ai été le jouet de visions ou de sortilèges… Ton spectre m’est apparu pour me glacer d’horreur… Ma folle épouvante t’a fait sourire, et tu m’as dit : Frère, réponds d’abord à mes questions ; puis, ce qui te semble inexplicable te paraîtra naturel, et tu reconnaîtras que jamais ta sœur Siomara n’a démérité de ta tendresse… Ma sœur, au nom de nos souvenirs d’enfance, dont tu as été si attendrie… au nom de notre père, que tu viens de pleurer, accomplis ta promesse… Crois enfin que j’ai pardon et pitié pour la honte où tu vis et où tu es tombée malgré toi… Hélas ! que pouvais-tu devenir, achetée tout enfant par Trymalcion… ce monstre de débauche et de cruauté ?…

— Lui ! — reprit Siomara avec son doux sourire, — non vraiment, ce Trymalcion n’était pas un monstre…

— Que dis-tu ?… Cet horrible vieillard…

— Oh ! laid jusqu’à l’horrible, c’est vrai… il m’a même inspiré d’abord un grand effroi… cela a duré quelques jours… Et puis, — ajouta-t-elle ingénument, — mes sentiments pour lui sont devenus tout différents…