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dernière entrevue, il me dit : « Si la nuit l’incendie envahit l’endroit où tu loges, ne crains rien, ne cherche pas à fuir… attends-moi. » Tu te rappelles, ma sœur, le bâtiment où l’on mettait sécher le chanvre ?

— Oui, le toit au chanvre ; il communiquait à l’étable des taureaux… Ah ! Sylvest, que de fois nous et notre famille nous avons passé là joyeusement les longues veillées d’hiver à mettre le chanvre en écheveaux ! Quelle joyeuseté présidait à ces travaux !… Et notre pauvre père donnait le premier le signal de la gaieté.

— Oui… il avait alors, comme Joel, notre aïeul, la gaieté des bons et vaillants cœurs… J’étais donc renfermé d’habitude dans le toit au chanvre ; ma cage, construite d’épaisses planches de chêne, avait un côté à jour garni de barreaux de fer ; j’entrais là-dedans par une porte dont le Romain fermait chaque fois les verroux extérieurs… Une nuit, je suis éveillé par une épaisse fumée, puis j’aperçois une vive lueur sous la porte qui communiquait aux étables ; soudain elle s’ouvre, et, à travers un nuage de feu et de fumée, mon père entre, une hache à la main et délivré de ses chaînes. Comment ? Je ne l’ai jamais su… Il accourt, tire les verrous de ma cage, me dit de le suivre, s’élance au fond du toit au chanvre déjà envahi par l’incendie ; à coups de hache il perce une trouée à travers les claies enduites de terre servant de murailles, me fait passer par cette ouverture et me suit…

— Et vous vous trouvez dans l’étroit chemin de ronde environné d’une palissade, et où, pendant la nuit, on lâchait les dogues de guerre ?

— Oui… mais cette palissade, trop élevée pour être franchie, mon père l’attaque avec sa hache ; la lueur de l’incendie nous éclairait comme en plein jour ; enfin la palissade cède ; derrière elle se trouvait, tu le sais, un profond et large fossé…

— Et comment le franchir ?… Impossible !

— Il y avait, du bord au fond de ce fossé, deux fois la hauteur de