ses officiers invalides ; l’un d’eux a eu pour lot notre maison et une partie de nos guérets…
— Pauvre père !… pauvre frère !… quelle douleur pour vous de revoir notre maison, nos campagnes, au pouvoir de l’étranger ! Mais, du moins, tu n’étais pas séparé de notre père ?
— Il habitait la nuit, comme les autres esclaves, un souterrain creusé pour eux (A), tandis que l’officier romain, ses femmes esclaves et nos gardiens, demeuraient dans notre maison, où je logeais aussi, renfermé dans une sorte de cage…
— Dans une cage ?… Et pourquoi cette barbarie ?
— Le lendemain de notre arrivée chez nous, notre maître a dit à mon père en me montrant à lui : « Chaque journée où ton travail ne m’aura pas satisfait, on arrachera une dent à ton fils… Si tu essayes de te révolter, on lui arrachera un ongle ; si tu tentes de t’évader, à chaque tentative on lui coupera soit un pied, soit une main, soit le nez, les oreilles ou la langue… Si tu parviens à t’échapper, on lui arrachera les yeux ; puis il sera mis au four ou enduit de miel, et ainsi exposé aux guêpes, ou bien encore brûlé à petit feu dans une robe enduite de poix (B). Libre à toi maintenant de faire que ton fils compte ses jours par les tortures. »
Siomara frémit et cacha son visage entre ses mains.
« — Tu n’auras pas d’esclave plus docile, plus laborieux que moi, — a répondu mon père à notre maître ; — seulement, promets-moi que si tu es satisfait de ma conduite et de mon travail, je verrai quelquefois mon fils. — Conduis-toi bien, j’aviserai, » a répondu le Romain. — Notre père tint sa promesse, ne pensant qu’à m’épargner des tortures… Il s’est montré le plus laborieux, le plus docile des esclaves…
— Lui… le plus docile des esclaves ! — dit Siomara les yeux humides de larmes ; — lui, notre père… lui, si fier de l’indépendance de notre race… lui, Guilhern, fils de Joel !… Ah ! jamais père n’a donné à son enfant plus grande preuve de tendresse.