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— Par toutes les gorges que j’ai coupées ! par toutes celles que je couperai encore ! Siomara… tu peux dire à l’univers que le sang, le cœur et l’épée de Mont-Liban sont à toi !…

La courtisane, laissant le gladiateur exclamer sa passion, l’eunuque dévorer sans doute la colère que lui causait le rapprochement du frère et de la sœur, quitta le vestibule, fit signe à Sylvest de la suivre, et le conduisit dans une chambre meublée avec magnificence, où tous deux restèrent seuls… Alors Siomara se jeta au cou de son frère, et lui dit avec une expression d’inexprimable tendresse et le serrant passionnément contre sa poitrine :

— Sylvest… tu ne me reconnais pas, moi, qui t’ai eu sitôt reconnu ? Je suis ta sœur… vendue comme toi, il y a dix-huit ans, après la bataille de Vannes !…

— Je t’avais reconnue…

— Tu dis cela froidement, frère… tu détournes les yeux… ton visage est sombre… Est-ce ainsi que l’on accueille la compagne de son enfance… après une si longue séparation ?… Ingrat… moi qui ne passais pas un jour sans penser à toi… Oh ! c’est à en pleurer !…

Et, en effet, ses yeux se remplirent de larmes.

— Écoute, Siomara… d’un mot tu peux me rendre le plus misérable des hommes ou le plus heureux des frères !

— Oh ! parle !…

— D’un mot tu peux appeler de mon cœur à mes lèvres tout ce que j’ai thésaurisé d’affection pour toi depuis tant d’années !

— Parle… parle vite !…

— Un mot de toi enfin, et nous continuerons cet entretien, qu’hier j’aurais acheté au prix de mon sang ; sinon, je quitte cette maison à l’instant pour ne jamais te revoir…

— Ne jamais me revoir !… Et pourquoi ? que t’ai-je fait ?

— Siomara, les Dieux de nos pères m’en sont témoins… lorsque j’ai appris que la belle Gauloise… la célèbre courtisane, c’était toi… grandes ont été ma douleur et ma honte, ma sœur… Mais j’ai songé à