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Ses sens ranimés, il s’aperçut que la clarté transparente, quoique obscurcie, régnait toujours dans l’épaisseur de la muraille… Cédant malgré lui à une terrible curiosité, il se leva et regarda. La chambre était déserte, la lampe de fer éteinte ; la lueur bleuâtre du vase d’airain placé sur le trépied éclairait seule ce lieu sinistre. Au bout de peu de temps, la sorcière reparut, tenant à la main un paquet enveloppé d’une étoffe noire ; elle le déroula précipitamment et en retira une tête fraîchement coupée. Sylvest reconnut, à la clarté bleuâtre du trépied, la tête de la belle Lydia… cette jeune vierge morte depuis la veille, qu’il avait souvent vue passer et admirée dans les rues d’Orange… Il se souvint alors des paroles de son maître, disant le matin au seigneur Norbiac que les gardiens du tombeau de Lydia auraient grand’peine à préserver ses restes des profanations des magiciennes… ajoutant avec cynisme que les jeunes filles mortes vestales devenaient rares à Orange et que leurs corps étaient incomparables pour les sortilèges.

L’horrible vieille, car Sylvest commençait à se croire le jouet d’une vision ou de l’erreur de ses yeux, et se refusait à croire que Siomara et la magicienne ne fussent qu’une seule et même personne, l’horrible vieille posa la tête de Lydia sur la table ainsi qu’un autre lambeau de chair sanglant et informe, mit ce lambeau dans la main d’enfant fraîchement coupée, la plaça sur la tête de Lydia et l’y fixa au moyen des longs cheveux de la morte.

Sylvest sentit soudain une main s’appuyer sur son épaule, la voix claire et railleuse de l’eunuque lui dit dans les ténèbres :

— Le gouffre n’est plus ouvert sous tes pieds… tu peux me suivre sans danger… Es-tu content ?… Tu as vu ta sœur Siomara, la belle Gauloise, la courtisane adorée ?…

— Non ! — s’écria l’esclave en s’avançant éperdu dans l’ombre. — Non, je n’ai pas vu ma sœur… non, cette horrible magicienne n’est pas Siomara !… Tout ceci est magie et sortilèges… Laissez-moi fuir cette maison maudite !…