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— Ah ! mon ami ! il n’y a que vous autres Romains pour donner aux choses ce tour agréable : L’ennui avant le plaisir… — répéta Norbiac d’un air charmé. — Combien nous sommes barbares auprès de vous, nous autres de cette grossière et sauvage race gauloise !… Enfin, soit, débarrassons-nous donc de la mauvaise nouvelle.

— Quelle est-elle ?

— Je viens d’apprendre par un de mes amis, qui arrive du centre de la Gaule, que notre brave armée romaine s’est mise, hélas !… en route pour retourner en Italie…

— Vous dites notre brave armée romaine, vous, Gaulois conquis ? — reprit Diavole en riant. — Voilà qui est d’un cœur pacifique !

— Certes, notre brave armée romaine… et n’est-ce pas, en effet, notre brave armée ? notre chère armée ? notre armée bien-aimée ? la protectrice de notre sécurité ? de nos plaisirs ?… Qu’elle s’éloigne, ainsi qu’Octave-Auguste en a donné l’ordre funeste, qu’allons-nous voir peut-être ? Les troubles renaître… ces misérables populations du centre et de l’ouest de la Gaule, comprimées à grand’peine, tenter de se soulever encore à la voix de leurs endiablés druides !… Alors de nouveaux chefs de cents vallées, de nouveaux Ambiorix, de nouveaux Drapès, sortent de dessous terre… car, plus on en tue, de ces bêtes enragées, plus il en renaît ; la révolte gagne du terrain, arrive jusqu’ici, et je vous demande un peu ce que deviennent nos plaisirs, nos folles nuits d’orgie, nos festins qui durent d’un soleil à l’autre ?

— Rassurez-vous, Norbiac… Octave-Auguste sait ce qu’il fait ; s’il retire l’armée romaine de l’ouest et du centre de la Gaule, c’est qu’il est certain que toute pensée de rébellion est éteinte chez vos sauvages compatriotes !… Eh ! eh ! ils ont été si souvent et si rudement châtiés par le grand César, qu’il leur a bien fallu renoncer à leurs ridicules idées d’indépendance… Et puis, voyez-vous, avec un bon joug ferré, un aiguillon pointu, une lourde charrue derrière eux, peu de sommeil et très-peu de nourriture, les plus farouches taureaux s’assouplissent à la longue…