ment trempée que soit une race, l’air empoisonné de l’esclavage la pénètre et l’abâtardit toujours.
Tu le verras dans ces récits, notre aïeule Margarid et les autres femmes de notre famille ont tué leurs enfants et se sont tuées ensuite, dans leur indomptable horreur de la servitude. Mon père Guilhern, homme mûr cependant, s’est, jusqu’à sa mort, et surtout, il est vrai, par tendresse pour moi, résigné à un esclavage que son père Joel n’aurait pas supporté un seul jour… Non, à la première occasion, il eût tué son fils, et après se serait tué. De même aussi, mon père, toujours taciturne et farouche, comme un loup à la chaîne, n’aurait pu prendre son parti de l’esclavage, comme moi je le prends. Peut-être, enfin, pauvre enfant, condamné par ta naissance à la servitude, peut-être, si nos libertés ne sont pas reconquises de ton vivant, dégénéreras-tu encore plus que moi de cette superbe haine de l’asservissement… une des mâles vertus de nos ancêtres… Pourtant, c’est dans l’espoir que leur exemple te donnera des forces pour lutter contre cette dégradation que je te lègue ces pieux récits de famille, en y ajoutant celui-ci.)
Sylvest a donc été ramené dans la matinée chez son maître. Le seigneur Diavole habitait une belle maison de la ville d’Orange, maison située non loin du cirque où combattent les gladiateurs et où les esclaves sont parfois livrés aux bêtes féroces.
Le portier, vêtu d’une livrée verte, couleur de la livrée du maître, était comme d’habitude enchaîné par le cou dans le vestibule, ainsi que l’est un chien de garde (D). Deux fois fugitif, il avait été puni par la perte des oreilles et du nez, cela lui donnait une figure hideuse ; à la place du nez, on ne voyait que deux trous qui lui servaient à respirer ; sur son front rasé, on voyait deux lettres marquées au fer chaud dans la chair vive, un F romaine et un O grec (E). C’était un Gaulois d’Auvergne, toujours sombre et morne. Le seigneur Diavole l’avait surnommé Cerbère, en raison de ses fonctions de portier ; mais, lorsqu’il lui eut fait couper le nez, il le nomma, par dérision, Camus. La