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dès ma naissance… J’avais quinze ans lorsque, faite prisonnière par les Romains lors du siège de Paris, défendu par le vieux Camulogène, bataille où ma famille a vaillamment péri, j’ai été vendue à un marchand d’esclaves. Amenée dans ce pays, j’ai été achetée par l’intendant des fabriques de Faustine… J’ai conservé ma fierté de race, sucée avec le lait de ma mère… S’il ne s’était agi que de toi, mon Sylvest, j’aurais, ce matin, en vraie Gauloise, comme nos aïeules, échappé par la mort à la honte d’un outrage inévitable, sûre de vivre honorée dans ta mémoire et d’être louée par ta digne mère Hénory, que je serais allée rejoindre ailleurs… où sont aussi les miens… Mais je suis mère… je porte dans mon sein depuis quelque temps le fruit de notre amour… Faiblesse ou raison, je n’ai pas voulu mourir ; mais j’ai voulu détourner de moi l’outrage dont j’étais menacée… Alors, ce soir, avant de venir ici, et c’est cela qui m’a retardée, je me suis introduite dans l’officine où l’on teint les étoffes… je me suis armée de courage, mon Sylvest, en songeant à toi… à notre enfant… à l’outrage qu’il me faudrait subir… Alors, j’ai versé dans un vase un liquide corrosif, et j’y ai plongé ma figure…

Et la Gauloise ajouta avec un geste superbe :

— Ta femme est-elle digne de ta mère ?…

— O Loyse ! — s’écria Sylvest en tombant en adoration devant cette fière et courageuse créature, — tu es maintenant plus que belle à mes yeux… tu es sainte !… sainte comme notre aïeule Hêna, la vierge de l’île de Sên !… sainte comme notre aïeule Siomara !…

— Sylvest, — dit soudain Loyse à voix basse, en se levant brusquement et prêtant l’oreille avec épouvante, — tais-toi… j’entends des pas… le bruit des chaînes… Oh ! malheur à nous !… tu seras surpris ici… Nous avons oublié qu’il est grand jour… Malheur à nous !…

— Ta maîtresse, peut-être ?…

— Non… elle a dû retourner au palais par le canal.

— Qui donc vient alors ?