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poursuivi par les chants frénétiques de cette infernale orgie, à laquelle succéda bientôt un silence plus hideux encore que ces cris délirants !

Éperdu, insensé, oubliant toute prudence, l’esclave s’éloignait de ce temple maudit, marchant à l’aventure, lorsqu’une voix bien chère à son cœur le rappela à lui-même.

— Sylvest ! — disait cette voix dans l’ombre, — Sylvest !

C’était la voix de Loyse, sa femme… sa femme bien-aimée… sa femme devant leurs serments secrets, jurés au nom des Dieux de leurs pères, car l’esclave n’a pas d’épouse devant les hommes !

Quoique l’aube ne dût pas tarder à paraître, la nuit était encore sombre ; l’esclave se dirigea à tâtons vers l’endroit d’où était partie la voix de Loyse, et tomba dans ses bras sans pouvoir d’abord prononcer une parole.

Loyse, effrayée de l’accablement de Sylvest, le soutint et guida péniblement ses pas au fond d’un bosquet de rosiers et de citronniers en fleur ; l’esclave s’assit sur un banc de mousse entourant le pied d’une statue de marbre.

— Sylvest, — lui dit sa femme avec inquiétude, — reviens à toi… Dis… qu’as-tu ? Parle-moi, je t’en supplie !

L’esclave, revenant peu à peu à lui, a dit à sa femme, en la serrant passionnément contre son cœur :

— Oh ! je renais… je renais… Auprès de toi je respire un air pur ; celui de ce temple maudit est empoisonné… il m’avait rendu fou !

— Que dis-tu ? — s’écria Loyse épouvantée ; — tu es entré dans le temple ?

— Je t’attendais près du canal, lieu ordinaire de nos rendez-vous. J’ai vu venir au loin des gens avec des lanternes ; pour n’être pas découvert, j’ai monté le long d’une des colonnes du temple : caché sur la corniche, j’ai assisté à de monstrueux mystères… Le vertige m’a saisi… et j’accours, ne sachant encore si je n’ai pas été le jouet d’une vision horrible !…