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sociales sont notre part, à nous autres prolétaires, à nous, hommes du 14 juillet, du 10 août, du 20 septembre ; à nous, soldats de Hoche, de Marceau, de Joubert, qui, au prix de notre sang, avons fait la révolution et l’avons rendue victorieuse au dedans et au dehors. Soyez unis, satisfaites à nos exigences légitimes, et nous verrons la république affermie sur des bases inébranlables.

— Oui, avec Maximilien Robespierre pour dictateur ou protecteur, en attendant mieux, — répond Billaud-Varenne, incapable de sacrifier à la chose publique l’inexorable jalousie dont il était possédé contre son rival ; puis le conventionnel, répondant à un mouvement de Jean Lebrenn : — Vous l’avez dit, jeune homme, vous vous tenez en dehors des partis ; c’est à la fois un avantage et un inconvénient : vous êtes ainsi à l’abri des passions souvent mauvaises, je le confesse, que fait éclater le choc des personnalités ; mais vous demeurez complètement étranger à la pratique des hommes et des choses ; en un mot, mon cher Lebrenn, dans votre isolement, vous vous nourrissez d’abstractions pures ; or, il faut à ceux-là qui prennent part aux luttes quotidiennes et acharnées de la vie publique des aliments plus substantiels, je dirai même, si vous le voulez, plus grossiers que les vôtres ; — puis, tirant sa montre, Billaud-Varenne ajoute : — Voilà bientôt neuf heures, il me faut me rendre au comité, où j’ai rendez-vous avec mes collègues, afin d’aviser à nous faire une arme de cette fameuse loi du 22 prairial, destinée à nous égorgiller sournoisement, et forgée à cette seule et unique fin par Maximilien Robespierre, le grand prêtre de l’Être suprême, le nouveau Messie, engendré des cogitations bigotes et falotes de Catherine Théot et de son compère dom Gerle. Et, sur ce, bonsoir et au revoir, mon cher Lebrenn ; votre blessure se cicatrisera vite et tôt, je l’espère. Allez, croyez-moi, malgré vos sinistres pronostics, cet enfant que va bientôt mettre au monde votre chère et vaillante compagne verra la république dans tout son lustre, et héritera des vertus civiques de son père et de sa mère.

— À revoir, Billaud-Varenne, vous me laissez profondément attristé. Il faut désespérer du présent, lorsque l’on voit des hommes de votre trempe et de votre patriotisme en proie au vertige qui précipite à leur perte les derniers défenseurs de la république, à l’heure même où, je le répète, triomphante au dedans et au dehors, il suffirait d’un suprême et fraternel effort pour la raffermir à jamais…

—… Sous l’insolent protectorat de Maximilien Ier, — répond ironiquement et en sortant, Billaud-Varenne, avec l’obtuse et exécrable opiniâtreté de l’homme aveuglé, hébété par la passion, sacrifiant