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rival ! Ah ! combien de fois je l’ai dit : « — Vous tous, gens de parti, vous aimez la république comme une maîtresse, au lieu de l’aimer comme une mère. Vous la servez, non pas en fils fraternellement unis et dévoués à son salut, à son bonheur ; vous la servez en rivaux qui se jalousent, se haïssent jusqu’à la mort… » Tenez, ce serait à désespérer de l’humanité, si elle était abandonnée à la merci des hommes !

— Ah bah ! et qui la conduit donc ? — demande Billaud-Varenne avec un sourire caustique ; — l’Être suprême ?… Vous y croyez, je gage ?

— Je crois au PROGRÈS, Billaud-Varenne, parce que la loi du progrès est à l’humanité ce que la loi de la gravitation est aux corps célestes ! Aussi, ma foi dans l’avenir est-elle inébranlable. Non ! il n’est pas plus donné à l’homme de suspendre les évolutions constamment progressives de l’humanité que de suspendre la marche du temps, que d’empêcher le soleil de resplendir en fécondant la terre. Mais il est donné à l’homme d’utiliser ou non la marche du temps, d’utiliser ou non la chaleur fécondante du soleil ! Je suis donc convaincu que l’avenir appartient forcément à la démocratie, à la république ! Je suis donc convaincu qu’un jour on verra les États-Unis d’Europe, de même que nous voyons les États-Unis de l’Amérique ; mais je suis non moins convaincu, revenant à notre entretien, que si, continuant de céder à la détestable aberration où ils sont plongés depuis quelques mois les derniers révolutionnaires qui survivent à tant de patriotes achèvent de se décimer, en envoyant Robespierre et les jacobins à l’échafaud, vous monterez à votre tour vous et les vôtres, Billaud-Varenne, et la république, ainsi privée de ses derniers défenseurs, tombera aux mains de ses ennemis !

— Ainsi, — reprend Billaud-Varenne pensif et momentanément ébranlé par les paroles de Jean Lebrenn ; — ainsi, selon vous, jeune homme…

— Selon moi, vous, terroristes honnêtes gens, vous devez vous unir aux jacobins et à Robespierre, demander immédiatement la mise en accusation des ex-proconsuls qui sont la honte de la Convention, l’horreur des vrais patriotes ; vous devez arrêter l’effusion du sang en mettant fin au règne de la terreur, ainsi que le réclame l’opinion publique, dont Robespierre est l’interprète ; vous devez maintenir énergiquement l’action révolutionnaire du gouvernement, mais développer, appliquer ces admirables institutions sociales décrétées par la Convention, et que les déchirements des partis ont empêché de pratiquer jusqu’ici. Ah ! ne l’oubliez pas, ces institutions