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— Vous l’approuvez de vouloir m’envoyer au vasistas ? Voilà, pardieu ! du moins, de la sincérité, mon cher Jean.

— Vous interprétez mal ma pensée. Souvenez-vous que, vingt fois, je vous ai dit qu’il n’y avait rien de plus exécrable, d’abord, et ensuite de plus impolitique que cette rivalité des républicains éprouvés, qui s’envoient tour à tour à la guillotine, au seul profit de nos ennemis, à la grande joie desquels les patriotes saignent ainsi, de leurs propres mains, la révolution aux quatre veines ; cependant, je reconnais qu’au 31 mai, par exemple, Vergniaud et les honnêtes gens du parti girondin devaient, malgré leur majorité dans la Convention, être dépossédés du pouvoir : ils n’étaient pas à la hauteur de ces circonstances redoutables, l’énergie et le tempérament révolutionnaire leur manquaient ; ils devaient, ainsi qu’ils l’ont fait, obéir au cri, à la pression de l’opinion publique, et céder la place aux jacobins ; je reconnais encore qu’à cette époque, où il s’agissait d’une question de vie ou de mort pour la république, leur présence à l’Assemblée, ou même dans leurs départements, eût été un danger public.

— Les faits ne l’ont que trop prouvé. Est-ce que Brissot, Isnard, Barbaroux et autres scélérats de la faction girondine n’ont pas soulevé une partie de la France contre la Convention, et armé, dans le Calvados, le bras de Charlotte Corday ?

— Ceux-là ont été légitimement frappés ; mais Vergniaud, mais Valazé, mais Gensonné ? mais tant d’autres girondins qui, fidèles à leur parole et prisonniers à Paris après le 31 mai, sont restés étrangers à cette guerre civile qu’ils déploraient ; ceux-là avaient-ils mérité la mort ?… Et pourtant on les a rendus solidaires du crime de leurs amis, on les a condamnés, comme on dit, sur l’étiquette du sac. Tu as été girondin, donc la guillotine !… Mais, encore une fois, j’admets que la présence de Vergniaud et de ses amis à l’Assemblée, ou même en France, si vous le voulez, pouvait être un danger public. En ce cas, emprisonnez-les, exilez-les même, au besoin, dans une colonie lointaine ; mais il est horrible, mais il est insensé de les tuer, car le jour peut venir où la république aura, pour se défendre, besoin de tous les républicains éprouvés, quelle que soit leur nuance ; aussi les égorger est un acte atroce et d’une imprévoyance irréparable ; ce que je dis des girondins, je le dis des dantonistes, et même de plusieurs hébertistes : ils ne sont plus à cette heure que poussière, et, croyez-moi, Billaud-Varenne, viendra, je le crains, le moment où, des premiers, vous regretterez ces victimes de l’aveugle rage des partis. Voilà pourquoi je dis : Oui, Robespierre a raison de vouloir abattre